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cet homme de grande inquiétude qu’est Nangès, voilà le grand mystère, le mystère transcendant entre tous. »

Que le capitaine Nangès ne fasse qu’un ici avec le lieutenant Psichari, c’est ce que prouve surabondamment le Voyage du Centurion. Maxence, le héros du livre, « humble lieutenant des armées de la République, » voyage et combat en Mauritanie. Il voyage aussi à travers l’aride région des idées, en quête d’une certitude et d’une foi. « Maxence avait une âme. Il était né pour croire, et pour aimer, et pour espérer. Il avait une âme, faite à l’image de Dieu, capable de discerner le vrai du faux, le bien du mal. Il ne pouvait se résoudre à ce que la Vérité et la Pureté ne fussent que de vains mots, sans nul soutien. » Dans la solitude et le silence du désert, sous l’action lointaine d’un ami chrétien, ce Pierre-Marie « qu’il revoyait, avec ses joues transparentes, sa barbe rare et mal venue, ses yeux tranquilles et sûrs, cette face blanche inclinée sur l’épaule fragile, » entre son Pascal et son Vigny, Maxence s’interroge anxieusement sur lui-même. « Il écoute pieusement les heures tomber dans l’éternité qui les encadre, il meurt au monde qui l’a déçu. »

Dans cette retraite spirituelle, il est en contact avec les Maures. Il constate, il admire en eux la puissance du sentiment religieux, et il a honte, devant eux, de se déclarer incrédule, « Si absurde est cette infidélité, s’avouait Maxence, que je n’ose même le confesser devant les Maures, et je leur dis : « Nous croyons !... » Ah ! oui, ma lâcheté devant eux me fait comprendre combien, malgré moi, et à mon insu, Jésus me lie ! » En fait, n’est-il pas, chez les Barbares, l’envoyé de la grande puissance occidentable ? Comme tel, il s’oppose à eux, il se sent supérieur à eux. « Au fond, rien n’y peut faire : ce sont vingt siècles de chrétienté qui le séparent des Maures... Il a derrière lui vingt mille croisés, — tout un peuple qui est mort l’épée dressée, la prière clouée sur les lèvres. Il est l’enfant de ce sang-là. » « Maxence arrive au point où les expédiens apparaissent misérables et où il faut choisir. Il rejettera l’autorité et le fondement de l’autorité, qui est l’armée. Ou bien, il acceptera toute l’autorité, l’humaine et la divine. Homme de fidélité, il ne restera pas hors de la fidélité. Dans le système de l’ordre, il y a le prêtre et il y a le soldat. Dans le système du désordre, il n’y a plus ni prêtre ni soldat. Il choisira donc l’un ou l’autre. »

Son choix n’est pas douteux. Précisément parce qu’il est