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vie plus active, il change d’arme, quoique sergent, et passe comme simple canonnier dans l’artillerie coloniale. On le nomme bientôt maréchal des logis, et, choisi par le commandant Lenfant, il part en mission au Congo.

Il a raconté dans son premier livre. Terres de soleil et de sommeil, ses impressions d’Afrique. Il y a déjà bien du talent dans ce livre, mais, comme il est naturel, un talent qui n’a pas encore pleinement dégagé son originalité. Il rappelle souvent, avec quelque chose de plus heurté, la manière de Loti, dont l’exemple, les leçons, et, peut-être, la destinée ont dû, j’imagine, fortement séduire le jeune écrivain. En tout cas, il imite le plus naïvement du monde ses tours de phrase, et jusqu’à ses procédés de style : « Les mimosas épineux épandaient toujours dans la campagne leurs blondes odeurs amoureuses. » Et encore :


Les Bayas sont couchés sur le sol. Cercles noirs autour des feux qui s’éteignent, dans la nuit sombre. Quelques-uns dorment. D’autres sont là, immobiles, étendus sur le dos, les yeux ouverts. Tout à coup, un chant s’élève, et il emplit mon âme, à en mourir. O le souvenir de cette obsédante lamentation ! Son endormante tristesse ! Il n’y a pas de paroles à cet air. C’est une gamme en mineur qui commence haut, par une note éclatante, et s’achève en sourdine, par une note traînée et basse, comme un soupir de détresse. Ceux qui chantent s’arrêtent subitement, et d’autres reprennent, avec des voix lasses et blanches qui font mal.


Cette vie et ces paysages d’Afrique ont incliné « l’âme violente et navrée » d’Ernest Psichari à des dispositions un peu contradictoires. Tantôt il se laisse aller à des rêveries d’un paganisme volontiers voluptueux ; il « s’accorde avec les choses naturelles, non en les divinisant, mais en y rentrant comme dans son milieu naturel et familier. » Il se vante d’être « libéré des ancestrales croyances. » Il écrit : « J’ai reçu une carte d’un ami, chrétien fervent et mystique. Il me disait : « J’espère que de ces solitudes, tu nous reviendras croyant en Dieu. » J’ai pensé souvent à ce mot. Hélas ! non, cette Afrique n’est pas la patrie de Dieu. Cette Afrique est le propre triomphe de l’individu. » D’autres fois, — et c’est sur cette impression qu’il nous laisse, — il constate que cette « terre des Barbares » lui a rendu l’espoir et la foi dans « la bonté de l’action ; » il éprouve une joie indicible à se répéter à lui-même : « Je suis soldat