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Épuisées par des travaux pour lesquels elles ne sont pas faites, insuffisamment nourries, dormant peu et mal, déprimées par le chagrin, par de constantes angoisses, les captives sentent leurs forces diminuer : « Chaque jour, nous constatons que nous pouvons en faire un peu moins que la veille... »

Les semaines coulent toutes semblables, tristes, mornes ! Longtemps, les pauvres petites ont attendu une réponse à la lettre écrite à leur famille, et que le commandant s’est chargé d’envoyer. La réponse n’arrive pas. La lettre est-elle seulement parvenue [1] ?... A mesure que les jours passent, sans amener aucun changement dans leur situation, les prisonnières voient s’évanouir le mirage de leur libération :

« Certains spectacles n’étaient pas pour nous rasséréner. Un jour, sous une pluie battante, passe, devant nous, un « diable vert » à cheval. Il emmène, à toute allure, un homme et trois jeunes filles qui le suivent à pied, courant sous les rafales. Les vêtemens des jeunes filles sont trempés. La pluie les leur plaque sur le corps. Le « diable vert » les emmène au poste, parce qu’elles ont refusé de subir la visite infâme du major...

Nous craignions constamment que le commandant ne fût remplacé par un autre qui nous aurait appliqué le règlement dans toute sa rigueur. »

Les prisonnières ont raison de trembler. Le régime qu’elles subissent est vraiment un régime de faveur. Dans d’autres villages de la région ardennaise, des choses se passent, abominables. Trois jeunes femmes refusent de travailler ; on les condamne à être fusillées ; on les colle au mur ; par trois fois, on les met en joue... Presque partout, on mélange, avec intention, les filles honnêtes et les prostituées. On affecte de les englober toutes dans le même mépris. Des jeunes filles, ayant protesté au moment de passer l’odieuse visite du major, reçoivent cette réponse :

— Ne réclamez donc pas tant ! Pour ce que vous êtes toutes !...

Un fermier auquel on a donné six travailleuses qu’on lui a annoncées comme filles de mauvaise vie vient trouver l’officier,

  1. Plus tard, rentrée à Lille, Yvonne X... a eu la preuve que le commandant avait bien envoyé la lettre : mais Mme X... sa mère, ne l’a jamais reçue.