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à l’avant est en raison inverse du cube du nombre d’obus ennemis reçus par l’avant. Mais le papier a moins d’influence que la manœuvre sur les événemens de guerre. Tandis que la foule des combattans se voyait déjà figée dans les tranchées vouées à l’inconfortable par la rareté du matériel, les grands chefs sur la montagne et dans la plaine préparaient lentement l’acte décisif.

La rupture du front était impossible, ou trop onéreuse, si la montagne demeurait inviolable. Mais le voïvode Mitchich n’avait pas besoin d’aviver la foi robuste de ses soldats. Peu à peu, des combats incessans leur donnaient des sommets, les rapprochaient de l’alignement sur lequel se tenaient depuis six semaines les Russes et les Français ; peu à peu, leurs progrès d’abord insensibles devenaient une menace pour la gauche des lignes de Kenali qui se trouverait bientôt exposée au feu d’enfilade des canons. Dans la plaine, les explorations des patrouilles, les lorgnettes des observateurs révélaient enfin dans la position bulgare que l’on avait cru sans défaut une fissure causée par la répercussion des chocs serbes sur les hauteurs. Pression violente sur le centre, coup de main par la fissure, attaque fougueuse dans la montagne, tout fut combiné en grand secret pour jouer le grand jeu.

Si les Bulgares ne connaissaient encore que par ouï-dire le type des combats sur le front français, ils en eurent du moins, le 14 novembre, une réduction à leur taille. De notre côté, même, les vétérans de l’Armée d’Orient ne soupçonnaient pas la violence des préparations d’artillerie qui s’est manifestée, depuis la bataille de Champagne, jusque dans le moindre coup de main. Ils n’en avaient jamais tant vu, quoique le bombardement par 155 et 120, qui en Macédoine paraissait effroyable, ne fût qu’une pâle imitation des séances de la Somme ou de Verdun. Mais tout est relatif : lorsque les engins de destruction sont plus puissans et plus perfectionnés, les moyens de protection sont plus efficaces. Il est au moins aussi dangereux d’attendre les arrivées des humbles 150 dans une tranchée à ciel ouvert, si profonde soit-elle, que celle des orgueilleux 270 ou 305 dans un abri-caverne sous 6 mètres de terre. Le combattant ne peut donc se confier, comme en France, qu’à sa bonne étoile. Mais il peut aussi mettre à son actif le nombre restreint des obus qui lui sont destinés. On n’a pas, comme en France, des dépôts