Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans quelques minutes et que nous ne pouvons empêcher. Puis, nous donnons libre cours à notre indignation...

L’Allemand de garde ; goguenard, propose à celles d’entre nous qui protestent le plus vivement de les conduire tout de suite au poste :

— Avec les rats, mesdemoiselles, avec les rats...

Puis, rudement, il nous fait taire. Cependant, mes amies et moi laissons passer les autres comme si un miracle pouvait nous sauver. Mais toutes les précautions sont prises. L’escalier est gardé ; les cartes sont contrôlées ; impossible de s’échapper. Mon tour vient. J’entre dans la chambre maudite. Le major s’essuie les mains. D’un coup d’œil, je vois la chambre nue, la table dressée, les oreillers, deux chaises pour soutenir les pieds ; à côté une cuvette et les instrumens nickelés qui brillent.

Le major se tient debout, près de la table. De toute la clique allemande, il est le seul à ne jamais saluer. Il est avare de ses paroles. Est-ce honte de la besogne qu’on lui fait faire ? Il me fait signe de m’étendre. Je proteste :

— J’ai déjà passé une visite.

— Ce n’est pas de celle-là qu’il s’agit.

— De quoi alors ?

Gêné, cherchant ses mots comme s’il ne savait pas le français :

-— Je vois que vous ne comprenez pas.

J’ai la gorge serrée comme dans un étau ; ma voix s’étrangle. Je dois avoir l’air comme fou. Le major marche de long en large :

— Allons, mademoiselle...

Je le regarde fixement. Je ne veux pas prier, supplier ; c’est une attitude que je n’ai jamais eue vis-à-vis d’un Allemand. Je n’oppose qu’une dignité énergique. Mais c’est cela sans doute qui pouvait le mieux lui en imposer. Il cherche un biais :

— Peut-être êtes-vous souffrante, aujourd’hui. Vous passerez une autre fois... »

Les victimes se retrouvent sur la place, frémissantes de colère, pâles de honte. Elles n’osent se regarder, elles n’osent s’interroger. Lentement, par des sentiers détournés, pour ne rencontrer personne, elles regagnent leur maison :

« Mais, à « Mon Idée, » on nous guettait depuis longtemps : Avons-nous vu le commandant ?... Devons-nous travailler ?