Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si vous ne travaillez pas de bonne volontié, on vous mettra en colonnes et vous travaillerez tout de même.

Ayant dit, Wecks se tourne vers le commandant, qui approuve d’un signe de tête et parcourt nos rangs du regard. »

Son attention est retenue par Yvonne X... et son amie Mlle de V... qui dépassent leurs camarades de toute la tête. Il va vers elles, les salue, les toise de bas en haut et, avec un profond étonnement :

— Mesdames ! mais vous ne m’avez pas du tout l’air d’être faites pour les travaux des champs...

Puis, brusquement, coupant court à son embarras :

— Après tout, vous vous arrangerez avec le jardinier !

Il vire sur ses talons. Le jardinier s’approche. C’est un petit soldat rabougri ; les poils de sa barbiche sont durs, raides comme brins de chiendent. Plus d’incisives, ni de canines. Un coup de feu les lui a fait sauter. Il a couru sous le soleil pour être exact. Il ruisselle de sueur. Son uniforme est sale et gras. Répugnant d’aspect, il porte sur lui une odeur forte et aigre : l’odeur boche !

Brusquement, je me mets devant Valentine (la domestique de Simone de V...) Cette grosse fille, pour l’instant, est des plus compromettantes. Elle semble avoir été mise au monde exprès pour travailler la terre. Ses joues rebondies sont rouges comme des tomates, ses manches courtes découvrent deux bras solides. J’affronte l’homme. Il ne sait que quelques mots de français.

— Combien êtes-vous ensemble ?

— Six ; mais nous travaillons déjà. Nous travaillons pour Mme D...

— Mme D... connais pas ! Pas sur mon carnet...

Il cherche dans des papiers et n’y trouve pas le nom de Mme D... le jardin de celle-ci n’ayant pas été réquisitionné. J’insiste :

— Nous travaillons chez elle. Nous avons déjà planté des pommes de terre.

Nix, nix, nix ! Travailler avec moi.

Il me montre son carnet : sur une page est inscrit : « Salat, planzen. » Il me fait écrire nos noms. Puis, laborieusement, il explique :

— Vous (il me désigne de son crayon). Et vous... (il désigne