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nous l’assurent ici, nous devons rester à « Mon-Idée » jusqu’à la fin de la guerre, il faut aviser à nous procurer le nécessaire par notre travail. »

Mme D... met un terrain à la disposition des jeunes filles. Elles y travaillent avec ardeur, bêchant, nivelant, ratissant, plantant des pommes de terre, semant des haricots. Ces heures laborieuses sont les meilleures pour les captives. C’est le soir, quand elles sont retirées dans leur maisonnette, que les idées mélancoliques, comme un vol d’oiseaux funèbres, s’abattent sur elles. Quand vient l’heure de se séparer pour la nuit, pas une qui ne se sente le cœur étreint de mille souvenirs douloureux ! C’est l’instant où, dans les familles du Nord demeurées croyantes, la mère, avant de donner à ses enfans le baiser du soir, leur trace, sur le front, une croix légère. Yvonne X... étant l’aînée, « c’est moi, dit-elle, qui remplace les mamans, et qui, le soir, sur le front de mes amies, fais la « petite croix... » Puis, nous montons. Auparavant, j’ai fermé soigneusement notre porte à clé. Précaution inutile, puisque les fenêtres ne ferment qu’avec des toiles. Nous sommes comme dans un moulin. Les cloisons du grenier ne vont pas jusqu’au faîte dans ces constructions de village. L’escalade est facile... »

Aussi que d’angoisses, que de terreurs ! Le moindre bruit suspect fait se dresser les jeunes filles, dans leur lit, l’oreille tendue. Quand nous parvenions à nous endormir, c’était d’un mauvais sommeil... » Souvent, dans la nuit, l’une des dormeuses poussait un cri de terreur. Ses compagnes se levaient, couraient pour lui porter secours. La dormeuse s’éveillait d’un cauchemar, le regard empli d’épouvante...

« Pour expliquer notre état de surexcitation, il faut aussi dire que les Allemands, afin que nul n’en ignore, avaient fixé, à notre porte, une grande pancarte sur laquelle étaient écrits, en grosses lettres, ces mots : « Six femmes. » Ainsi, chaque passant pouvait profiter du renseignement. A maintes reprises, dans la journée, des soldats entraient curieusement pour nous dévisager. Un matin, c’est un « diable vert, » comme on appelle les gendarmes dans le pays occupé. Il pousse son cheval jusqu’à la porte, fiche ses yeux sur nous, et, pour donner un prétexte à sa visite, demande :

— Pourquoi n’avez-vous pas de vitres à vos fenêtres ?

Une autre fois, devançant mes compagnes, j’étais rentrée