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tombe ; deux fois, par manière de plaisanterie on a fait le simulacre de le fusiller... Malgré ses prédictions pessimistes, il n’arrive pas à nous assombrir et, chargées de livres qu’il nous prête, nous redescendons à « Mon Idée. » De nouveaux déportés viennent d’arriver de Lille. Ils nous disent que les enlèvemens y continuent, quartier par quartier... »

Sans égards pour l’état de celles qui ont été désignées, les soldats allemands se comportent d’une manière révoltante. Une jeune femme d’une trentaine d’années est au plus mal : les soldats la tirent de son lit, la portent au tramway : qu’est-il advenu de la mourante ? Dans la ville, la terreur plane. On cite des parens qui ont perdu la raison depuis qu’on leur a enlevé leur fille. On parle d’une domestique que la crainte d’être prise a subitement rendue folle. Ses maîtres l’ont rattrapée, fuyant, les yeux hagards, rue du Molinel, en chemise de nuit, les pieds nus... On raconte qu’un convoi est parti pour l’exil comme on va au feu, bravement, en chantant la Marseillaise : bien que le chant soit séditieux en région envahie, les Allemands n’ont pas osé faire taire les chanteuses... On ajoute quelques traits comiques qui ont ponctué l’horreur du drame. A la gare, un camelot criait :

— Achetez la grande victoire de Lille ! Quinze cents prisonniers sans perdre un seul homme !...


Voici le tableau que trace Yvonne X... de la vie à « Mon-Idée » : « Chaque matin, nous allons à la messe, puis nous nous mettons au ménage, ce qui nous prend beaucoup de temps. Il faut dire que nous avons mille difficultés à faire du feu. Nous n’avons que du bois vert. Il nous faut apprendre à le scier, à le fendre à la hache, il faut le sécher. C’est un travail si dur que, toutes les fois que nous le pouvons, nous allons ramasser les déchets des piquets pour tranchées qu’on confectionne à la gare... Le petit poêle, en outre, tire très mal. Une de nous doit surveiller le feu, tandis qu’une autre cuisine. Il nous faut beaucoup d’ingéniosité pour préparer nos repas, il en faut davantage pour varier les menus. Nos provisions sont si restreintes ! C’est tout juste si, en battant les environs, nous arrivons à trouver quelques légumes.

« L’après-midi se passe en grands travaux. Puisque, tous