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succession de Brunswick appartenant à la maison de Hanovre, et la Prusse étant venue aux droits de cette maison, elle devait également hériter du duché. Voilà pour la légitimité de l’annexion. Quant à l’opportunité, elle résultait des circonstances : après la protestation du duc de Cumberland et la manifestation guelfe de Copenhague, la Prusse ne devait plus écouter que « la froide raison d’État. » Elle ne pouvait admettre qu’un jour, et en dépit même des renonciations ultérieures que le duc de Cumberland pourrait être amené à souscrire, dans un avenir plus ou moins rapproché, le Danemark devint un point de ralliement pour les séparatistes hanovriens. Le danger serait d’autant plus grand que le prince, recueillant avec le duché le fonds guelfe qui devrait lui être restitué, se trouverait un des plus riches souverains de l’Europe. Le laisser maître du duché serait placer une mèche allumée auprès d’un baril de poudre. Il fallait assurer le bonheur des Brunswickois en les réunissant à la Prusse. L’incertitude serait funeste à leur prospérité ; ils avaient tout à gagner à être gouvernés, après la mort de leur prince actuel, par un fonctionnaire prussien ainsi que les Hanovriens et les Hessois de Cassel, dont le sort n’avait jamais été plus enviable.

On verra plus loin que les Brunswickois, malgré ces perspectives séduisantes, n’étaient pas disposés à aller aussi vite en besogne, et que M. de Bismarck restait encore très éloigné de la solution qu’il laissait les journaux à ses gages lui recommander comme la plus logique et la plus conforme aux intérêts de la monarchie prussienne. Ce qu’il voulait, c’était, d’une part, nous l’avons dit, donner une leçon au Danemark, et, d’autre part, laisser une porte ouverte au duc de Cumberland, pour le cas où ce prince, se montrant accessible au repentir, entrerait dans la voie qui devait le conduire à une réconciliation avec les Hohenzollern.

Cette politique du prince de Bismarck, inspirée par le désir d’avoir raison, sans recourir à la violence, de toutes les difficultés que le particularisme des Etats allemands devenus terres d’Empire pouvait susciter à l’encontre de l’hégémonie prussienne, et de dissiper les rancunes des annexés, cette politique a été pendant de longues années celle des successeurs du chancelier. Elle est déjà visible en 1881, comme nous le montrerons, alors qu’il était encore tout-puissant, dans le mariage du prince