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mais c’était l’honnête homme par excellence, un prince pénètre de la grandeur des deux maisons royales auxquelles il appartenait, conscient des devoirs que lui imposait sa naissance et revêtu de cette parure morale qu’assurent aux victimes de la force s’exerçant contre le droit la noblesse et la dignité dont elles font preuve dans le malheur. L’influence des partisans de son père, devenus les siens, venait de lui donner une apparence d’énergie qui méritait l’estime et la considération. Les trente-trois années qui le séparaient de sa venue au monde avaient épargné sa jeunesse, et il suffisait de le connaître pour être convaincu qu’à défaut de qualités plus brillantes, il possédait toutes celles qui, dans un foyer familial, sont la condition du bonheur. Tel qu’il était, il plut à la princesse Thyra autant qu’elle lui plaisait.

La princesse de Galles semble avoir été la première à s’en apercevoir. Avait-elle reçu des confidences de l’un ou de l’autre ; ne devait-elle qu’à sa perspicacité ou à ses observations d’avoir deviné que dans ces deux cœurs l’amour allait éclore ? Nous l’ignorons, mais obéissant à la tendresse qu’elle portait à sa sœur et encouragée par l’espoir de l’attirer à Londres et de l’y fixer, elle n’hésita pas à prendre l’initiative des démarches à faire en vue d’un mariage, en dépit des obstacles qu’elle prévoyait. Ce n’est guère que de Berlin qu’ils étaient à redouter, mais tels qu’ils pourraient tout empêcher. Au lendemain de la protestation retentissante du duc de Cumberland qui avait arrêté toutes les tentatives de réconciliation entre lui et la famille impériale d’Allemagne, de quel œil celle-ci verrait-elle la maison de Danemark donner une de ses filles à un prince qui portait atteinte à l’unité germanique en poussant à la révolte par son exemple les populations hanovriennes, incorporées depuis douze ans à la Prusse et qui se montraient satisfaites de leur sort ? De quel œil verrait-elle la cour de Londres favoriser cette union et prendre sous sa protection, en alléguant qu’il était prince royal en Angleterre, ce prince allemand allié aux Hohenzollern, qui s’était mis en rébellion ouverte contre eux ? C’est donc à Berlin qu’il fallait agir d’abord, et c’est de ce côté que se porta l’activité de la princesse de Galles.

Elle eut vite fait de mettre dans son jeu sa belle-mère la reine Victoria, toujours disposée à intervenir pour multiplier parmi ses proches les alliances matrimoniales qui lui paraissaient