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souvent les principes. Pour exploiter un succès, il ne suffit pas d’en avoir le désir ou la volonté : les moyens matériels et moraux ne sont pas moins indispensables. Quand l’ennemi est las de la lutte et songe à la retraite, il faut deviner à temps ses desseins pour les contrarier. Quand l’ennemi « décolle » sous les chocs répétés des troupes d’assaut, il faut des troupes fraîches pour le talonner sans relâche, pour lui inspirer le sentiment de l’impuissance, pour l’empêcher de se ressaisir et de faire tête. Il faut en outre accroître son désordre ou précipiter sa fuite par l’emploi de groupes légers qui menaceront ses lignes de ravitaillement. Au poursuivant il faut des vivres et des munitions en abondance, un service de l’arrière dédaigneux de la routine, méthodique, ingénieux et prévoyant. Lorsque ces conditions, pour diverses causes, ne sont pas satisfaites simultanément, la défaite de l’ennemi se transforme en retraite honorable, et la victoire décisive n’est plus qu’un succès contesté.

C’est ainsi que la campagne de Macédoine est riche en précieuses leçons. Des critiques éminens plus tard viendront, qui interrogeront les champs de bataille et distribueront au petit bonheur l’éloge et le blâme aux belligérans vivans ou défunts. Comme il convient, leurs verdicts seront souvent contradictoires, mais ils s’accorderont pour confirmer, au sujet de plusieurs épisodes, la sagesse de l’aphorisme connu : des deux adversaires est vaincu celui qui croit l’être. Cependant, lorsque le vainqueur par persuasion ne sait ou ne peut « exploiter le succès, » il ne tarde pas à voir combien l’occasion est déesse fantasque, combien sont imprévus ses rendez-vous, et combien elle se lasse vite d’attendre un invité en retard.

Les Bulgares, que la contre-offensive du général Cordonnier et du voïvode Mitchich avait refoulés sur la ligne Florina- Khaïmakalan, ne se trouvaient certes pas dans une mauvaise situation tactique. Ils avaient éprouvé peu de pertes, et ils savaient par l’expérience que leurs positions de la plaine étaient assez solides pour résister à une attaque brusquée. Toute la montagne au Nord de Florina leur appartenait, et le progrès des Serbes sur le Khaïmakalan ne représentait pas encore une sérieuse menace. Ils semblaient terrés pour longtemps dans leurs tranchées discontinues, entre lesquelles s’élançait parfois contre nos avant-postes un escadron audacieux. Ils perfectionnaient et développaient leurs défenses, ils s’amusaient