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avant la guerre, il n’a passé qu’un an à l’École. Où il a gagné sa croix de la Légion d’honneur, à son âge, comment le saurais-je ? il ne parle jamais de ce qu’il a fait. Il est aussi simple dans la bonne fortune que dans la mauvaise, à quoi on le peut reconnaître pour Savoyard. Car le Savoyard ne s’en laisse pas accroire. Les maux ni les honneurs ne triomphent aisément de son humeur placide. Il supporte les uns et les autres avec sérénité. Sa philosophie naturelle lui a enseigné qu’ils finissent. Voici donc le capitaine Favre, après la prise de la Sablière, descendu dans le ravin des Fontaines. Il y cause avec le lieutenant Féron, qui commande la compagnie de droite du 401e. La liaison entre les deux divisions est parfaite. Puis il arrive à la hauteur de la tranchée Gotha, sur les pentes Ouest du bois Fumin, un peu au-dessus du ravin des Fontaines. Ses patrouilles n’ont pas trouvé le contact de l’ennemi. Il pourrait poursuivre la marche en avant jusqu’à son dernier objectif qui est l’étang de Vaux, mais la résistance rencontrée par les compagnies de droite de son bataillon sur la crête et les pentes Est de ce bois Fumin ne lui permet pas de continuer son mouvement. Il doit rester sur place et fait construire une tranchée qui, le lendemain matin 25, offre déjà une protection efficace. Le matin du 25, il ne peut se résoudre à l’immobilité et il se décide à envoyer une forte patrouille aux abords de l’étang. Ma foi, sa compagnie est à l’abri dans la tranchée qu’elle a creusée : il accompagnera, ou plutôt il conduira sa patrouille composée du sergent David et d’une douzaine d’hommes. « J’en suis aussi, » réclame son camarade, le capitaine Fonbonne, qui l’a rejoint. Le ravin des Fontaines débouche à l’étang de Vaux ; au delà, du côté du village, est la digue. La petite troupe va jusqu’à la digue. Brusquement, comme le capitaine Favre, qui est devant, visite une tranchée allemande entièrement bouleversée, il aperçoit un Boche fumant tranquillement sa pipe à l’entrée d’un abri, au-dessous de lui. Car, dans cette guerre aux larges espaces, on fume tranquillement sa pipe ici, tandis qu’on s’égorge à côté. La bataille fait rage devant la tranchée Gotha ; devant le village de Vaux, l’Allemand se croit en villégiature. Vaux, dont la conquête a donné tant de mal, ne peut être repris d’un coup : on a le temps de voir venir. Le capitaine Favre fait signe à ses hommes de se terrer sans bruit. Il a déjà arrêté son plan. Ce sera un beau coup de filet : toute la garnison des abris faite