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LA MÈRE, avec intention. — Que loin soit le jour où il en entrera une pareille dans ma maison comme fiancée ! Car moi, je dis...

LE PÈRE. — N’importe ! Qu’est-ce qu’il dit, lui, sur ces femmes françaises ?

LE FILS. — Il dit : « Elles ne sont pas divisées d’opinion sur la question de savoir lequel de leurs ennemis il faudra rechercher d’abord. Elles disent : « Réglons le compte chaque jour et chaque nuit avec le groupe le plus rapproché de l’ennemi ; et, quand nous aurons ramené tout l’ennemi à la vraie manière de voir, nous pourrons réclamer ceux-là mêmes qui ont infligé la honte et l’injure. En attendant, peu importe que ce soit une vie ou une autre. » Ceci est de bon conseil pour nous dans notre affaire personnelle, ô ma mère.

LE PÈRE. — Oui, oui, en vérité, c’est un bon avis. Peu importe une vie ou une autre... Est-ce tout ?

LE FILS, — C’est tout. « Peu importe une vie ou une autre. » Et c’est bien aussi ce que je pense.

LA MÈRE. — « Une vie ou une autre. » Précisément ! Et alors nous pouvons lui écrire tout de suite que nous avons tout de suite pris notre revanche.

(Elle prend le fusil de son mari et le passe à son fils, qui étend la main vers lui en jetant un regard à son père.)

LE PÈRE. — C’est sur ta tête, Akbar, que doit reposer ce compte, du moins jusqu’à ce que j’aille mieux. Essayes-tu cette nuit ?

LE FILS. — Peut-être ! Je voudrais que nous eussions la dispendieuse illumination de ces globes de feu dont il parle. (Il se lève à moitié.)

LA MÈRE. — Attends un peu : voici l’appel à l’ishr [1].

Le muezzin, penché en dehors de la mosquée du village, tandis que paraissent les premières étoiles. — Dieu est grand ! Dieu est grand ! Dieu est grand ! J’atteste, etc.

(La famille se dispose à la prière du soir.)


RUDYARD KIPLING.

  1. Prière du soir.