Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paniers de légumes qui voyageaient ainsi à vive allure. Quand, d’un signe de tête qui précédait l’arrêt inespéré, le conducteur se montrait secourable, une appréhension vite réprimée arrêtait l’élan des deux ou trois fantassins fourbus qui se précipitaient pour prendre place. Ils apercevaient, en effet, couchés sur le plancher de la voiture, les cinq obus de 155. ou les trente obus de 75, qui s’en allaient ainsi portés vers les batteries du front. Mais le sourire amusé du convoyeur dissipait aussitôt les craintes, en prouvant qu’on pouvait vivre en paix sur un volcan. Du coup, le mystère était éclairci. Mieux que tous les raisonnemens, un auto pour cinq « marmites » révélait les difficultés de la guerre en ce pays lointain. Il ne suffit pas d’y amener des troupes ; il faut les nourrir, les entretenir, évacuer les blessés et les malades, alimenter les canons sans cesse affamés : que de voitures pour le tir quotidien d’une seule batterie !

Portés par les jambes molles ou les autos complaisans, on atteignait enfin Gornicevo. Pendant longtemps, les rédacteurs des ordres de marche en firent la fin d’une étape pour détachemens. Sans doute, sur la carte, le voisinage du lac et d’un cours d’eau bien bleu augmentaient dans les souvenirs de ces messieurs les charmes d’un site réputé au loin, que parfois une randonnée en auto avait permis d’admirer. Mais si le site est beau avec son moutonnement de sommets chauves et son arrière-plan de miroir liquide terni par les brumes bleuâtres, le cours d’eau n’est qu’un ravin de cailloux et de roches, et le lac est à 7 kilomètres, par un sentier de chèvres ou de comitadjis. Il fallait donc aller plus loin, vers les sources et vers les puits, descendre après avoir monté, jusqu’aux terrasses inférieures de la montagne, sur l’autre versant. Cette déception faisait oublier le réconfort de l’arrivée à Gornicevo. Du col qui le protège contre les terribles vents du Vardar, le village était apparu accueillant. Les costumes des femmes et des enfans faisaient des taches éclatantes dans la grisaille jaunâtre des rocs zébrée de violet dur par le soleil à son zénith. Des soldats serbes accouraient, amènes et bavards, pour faire admirer les effets récens de leur artillerie sur les fortifications improvisées par les Bulgares. Les réseaux barbelés, soutenus par des piquets en fer, étaient à peu près intacts ; les tranchées, au profil et au tracé savans, avaient peu souffert, malgré le relief imposé