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et de Sénégalais prenait corps ; les gradés devenaient habiles dans l’emploi de leurs hommes selon les aptitudes et selon les circonstances. Ils comprenaient combien sont différentes la lutte en plein air où les plissemens imperceptibles du terrain, les fossés, les arbres, les haies sont des auxiliaires trop souvent méconnus, et la ruée brutale sur un sol nivelé, droit devant soi, du taureau qui fonce sur l’obstacle selon le schéma des attaques de tranchées. Ils apprenaient bien des choses qu’on n’avait pu leur enseigner pratiquement dans les secteurs même les plus agités. La variété des formations de marche leur était clairement expliquée par le souvenir encore frais des tirs fusans et percutans qu’ils avaient subis, des bandes de mitrailleuses qu’ils avaient reçues. Ils s’entraînaient à la gymnastique des montagnards, car on leur disait qu’ils forceraient la victoire sur les sommets neigeux qui fermaient au loin l’horizon ; mais cette victoire leur paraissait plus facilement accessible quand les vagues de collines et de hauts sommets se couronnaient de châtaigniers.

Les « pelons » mûrs qui tachaient de roux les sombres feuillages étaient l’appât offert à leurs convoitises puériles. Il leur faisait tout oublier : le réveil glacial sous la tente ruisselante de rosée, la sieste écourtée par la manœuvre fatigante, le vague à l’âme de l’exil, l’incertitude parfois angoissée du lendemain. Auvergnats et Bretons, Dauphinois et Pyrénéens, ils retrouvaient du souffle pour grimper allègrement jusqu’aux bois séculaires dont l’arôme leur rappelait les châtaigneraies natales qui avaient vu leur enfance de pastoureaux, leurs rudes besognes de jeunes hommes, leurs premiers rendez-vous d’amoureux. puissance des souvenirs ! Faisceaux formés et sacs à terre, à peine le contact était-il pris avec le sous-bois tapissé d’une mousse voilée çà et là par la guipure des feuilles mortes et des fruits tombés, que chacun se retrouvait sans effort chez lui. Après de brefs étonnemens causés par l’identité de sites que séparaient d’aussi vastes espaces, on s’éparpillait pour chercher les châtaignes qui brillaient dans leurs coques entr’ouvertes ; elles gonflaient bientôt les musettes, tandis que les mouchoirs soigneusement tenus aux quatre coins s’arrondissaient autour des champignons. Il y en avait beaucoup, des cèpes et des verdettes, des mousserons et des morilles, que l’humidité des nuits faisait éclore, et nos soldats les connaissaient bien. Jusqu’au crépuscule naissant on restait là, vautrés sur les