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d’Études et d’Exercices du plus grand style, ont écrit des sonates et des concertos d’une désolante médiocrité [1]. » Nous possédons enfin, sur Clementi, l’opinion, deux ou trois fois exprimée, de Mozart. On n’en connaissait que la sévérité, tant que les œuvres du maître italien demeuraient ignorées ; il est désormais impossible de n’en pas reconnaître, en l’excusant toutefois, l’injustice. C’est à Vienne, le 24 décembre 1781, que se rencontrèrent Mozart et Clementi. « Rencontre » véritable, espèce de tournoi musical, où l’empereur Joseph II avait convié les deux pianistes, les deux compositeurs. « Clementi, » rapporte Wyzewa, « s’était hâté de composer, en vue de cette séance, une sonate où il avait essayé, assez gauchement, d’imiter le style de son concurrent. Et comme, en outre, lui-même a plus tard avoué que son jeu de pianiste, jusqu’à cette mémorable rencontre avec Mozart, n’était rien qu’un sec et froid déploiement de virtuosité, l’on comprend sans peine l’impression désastreuse produite par lui, ce soir-là, sur son jeune rival.

« Parlons maintenant de Clementi. C’est un bon pianiste... voilà tout ce qu’on peut dire. Il a beaucoup d’habileté dans sa main droite... ses principaux traits sont en tierces... mais à côté de cela, il n’a pas pour un kreutzer de goût ni de sentiment... c’est un simple mécanicien. » Voilà ce que Mozart écrivait, quelques jours après la séance. Et sans doute même cette séance lui avait enlevé tout désir de connaître les nouvelles compositions de celui qu’il appelait dédaigneusement « un simple mechanicus, » car ayant appris que sa sœur, à Salzbourg, étudiait un recueil de sonates de Clementi, il mandait encore à son père, le 7 juin 1783 :

« .Que les sonates de Clementi ne signifient absolument rien au point de vue de la composition, c’est ce que reconnaîtra aisément quiconque les joue, ou les entend jouer. Et l’on n’y trouve pas non plus de passages remarquables ou curieux, à l’exception des sixtes et des octaves, toutes choses dont je prie ma sœur de ne pas trop s’occuper, afin que par là elle ne risque pas de gâter sa légèreté et agilité naturelle, ni la vitesse coulante de son exécution... Ce Clementi est un charlatan, comme tous les Italiens... En dehors de ses passages de tierces, il n’a rien, absolument rien, — pas l’ombre de rendu ni de goût, et bien moins encore de sentiment. »

Sous cet illustre dédain, la mémoire de Clementi demeura longtemps abattue. Beethoven, plus clairvoyant, ou mieux informé que

  1. M. Camille Saint-Saëns (École buissonnière, p. 306).