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Exactement, une hypothèse d’histoire naturelle, et de laquelle on a prétendu faire un principe moral et social. Et, surtout, c’est un mot. Rien de plus ravageur que certains mots vagues et qui se chargent de contresens : on ne compte plus les dégâts de ce mot, l’évolution. Filon n’est-il pas de mon avis ? Je le croirais, quand il écrit : « Un honnête savant, héritier de Buffon et de Cuvier, sortit de son laboratoire pour rajeunir et préciser la loi de l’éternelle transformation, pressentie par Epicure. En réalité, le darwinisme n’avait rien à faire avec les fluctuations journalières de notre vie politique et sociale, et c’est par un étrange abus des mots que nous usons, en ces matières, du mot d’évolution... » Et ailleurs, à propos du philosophe et historien Freeman, qui fut un des premiers à mettre en valeur la théorie évolutionniste de l’histoire, Filon se réserve : » Considérer le Witenagemot, — ancienne assemblée des Hommes libres et des Sages, — transformé en Curia Regis ou la Curia Regis transformée en Parlement comme l’histoire naturelle considère le ver à soie qui sort de son cocon, changé en papillon, ce serait confondre la méthode et les procédés de deux sciences fort différentes. » C’est la vérité même, et telle au surplus que Darwin l’a formulée : il a protesté bien des fois contre les imprudens qui étendaient, comme il disait, son hypothèse d’histoire naturelle à des domaines étrangers. Mais on n’enferme pas une doctrine ; et, malgré qu’on en ait, elle rayonne au delà des limites que son inventeur lui veut assigner. Que Darwin approuve ou qu’il blâme l’usage ou l’abus de son hypothèse, l’évolutionnisme lui échappe, se répand, devient une croyance... « N’importe ! dit Augustin Filon, qui tout à l’heure notait, après la découverte de l’honnête savant, l’intrusion de sa découverte dans les systèmes de la vie politique et sociale ; n’importe ! c’est depuis ce moment que nous sentons la terre rouler sous nos pieds et que nous sommes devenus consciens du mouvement continu qui emporte les individus et les sociétés... » Conséquences : une « perpétuelle inquiétude » dans l’esprit des penseurs ; pour les sociétés humaines, plus de repos ; et la recherche du bonheur humain n’est plus « un problème de statique, » mais une quête indéfinie. Bref, « il n’y a plus qu’à se laisser vivre. » Ou bien aurez-vous le souci d’ « aider à l’évolution ? « autant vaudrait vous charger » d’aider la mer à monter les marées ou la lune à tourner autour de la