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au roi Constantin, et qui sont parqués sous la surveillance nonchalante des volontaires macédoniens. Ils terminent leur voyage en Europe par une excursion en pays exotique. Au petit dépôt colonial, ils coudoient des tirailleurs sénégalais fraternisant avec les Annamites et les Malgaches des bataillons d’étapes qui ont construit en quelques semaines des bâtimens commodes et peu coûteux, bien préférables aux classiques marabouts des Européens.

Tous ces peuples, toutes ces races assemblées sur ce coin de terre grecque ne seraient pas des attractions pour les « marsouins » et les « bigors » d’avant la guerre ; mais il en reste si peu aujourd’hui dans les régimens dits « coloniaux » qu’un étonnement admiratif oppresse les paysans d’Auvergne et de Dauphiné, les pêcheurs bretons et les montagnards pyrénéens, à qui l’ancre de leur casque confère en principe le privilège d’avoir tout vu. Silencieux, ils reviennent vers leurs tentes en songeant confusément à toutes ces humanités obscures et paisibles, venues de si loin, que les navires, les railways déversent sans répit dans la vieille Europe où des ouragans apocalyptiques de fer et de feu les transforment en bouillie sanglante, parce qu’un souverain entraîné par la folie collective des grandeurs de son peuple s’est cru le chef d’une nation élue : « C’est plus fort qu’au temps de Napoléon ! constate soudain quelqu’un qui traduit à haute voix le sentiment commun. Si Guillaume a voulu secouer le monde, on peut dire qu’il a réussi. — Oui, mais en attendant, qu’est-ce qu’ils vont prendre, les Bulgares ? » répond un camarade qui ne perd pas le sentiment des prochaines réalités.


SUR LA ROUTE DE FLORINA

Oui, qu’est-ce qu’ils vont prendre ? Cette pensée hante toutes les cervelles dans le régiment qui avance avec lenteur sur la grande route de Florina. Jusqu’à la veille du départ, la curiosité de chacun s’était appliquée à la recherche des hypothèses d’itinéraires et de manœuvres qui prenaient Belgrade ou Sofia pour objectif immédiat. On s’était attendu à courir vers le Nord, et l’on se traînait péniblement vers l’Ouest. Déshabitués des longues étapes, ployant sous le faix du sac volumineux que la chaleur fait paraître plus lourd, les soldats « blancs » s’égrèneraient