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d’Angus, crée pour cette chasse « prodigieuse » un décor de cauchemar


Et dans la forêt spectre ils deviennent fantômes ?


Si ! décrit une bataille, il la voit gigantesque, et la transfigure, non toujours en beauté, mais en surhumanité. Telle la bataille de Waterloo. La cavalerie française descend la colline de la Belle-Alliance : « C’étaient des hommes géans sur des chevaux colosses. Les escadrons énormes s’ébranlèrent. On entendait ce piétinement colossal. On croyait voir s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige. Il semblait que cette masse était devenue monstre. Chaque escadron se gonflait comme un anneau du polype. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres… Là-dessus les cuirasses comme les écailles sur l’hydre. » Soudain la cavalerie débouche sur le plateau : « Et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre. Les chevaux tombaient gigantesques au milieu de ces quatre murs vivans… La figure de ce combat était monstrueuse. Ces carrés n’étaient plus des bataillons, c’étaient des cratères. Ces cuirassiers n’étaient plus une cavalerie, c’était une tempête. Chaque carré était un volcan attaqué par un nuage. La lave combattait la foudre. » Si l’âme du poète est un cristal sonore, son œil est un verre grossissant. Il n’y a là que des hommes, des bras et des cœurs, et la volonté de vaincre. Et pourtant, pour extérioriser cette vision de mêlée ardente qui s’impose à lui, Hugo est contraint de faire appel aux forces naturelles déchaînées en un paroxysme de brutalité. Epopée ! disait-on avant la guerre. Mais aujourd’hui, c’est de l’épopée vécue. Chaque assaut donné par nos soldats y ajoute un chant, et le verbe du poète tendu à l’extrême n’exprime plus seulement de dramatiques hyperboles, mais se trouve à la hauteur de nos quotidiennes réalités.

L’imagination de Victor Hugo va plus loin encore, si le voyant qui était en lui a matérialisé un jour, de façon merveilleuse, la scène apocalyptique suggérée à bien des âmes par la monstruosité de la barbarie allemande. Un tel élargissement du champ de la douleur humaine, tant de sang versé et tant de larmes, et le jardin des supplices enrichi de si sombres fleurs ! Agonie des vieillards martyrisés avant le coup mortel ! Râles des blessés gisans et frappés à coups de crosses ! Sanglots des mères devant