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peut se soustraire, et les sceptiques s’en consolent selon la formule : « Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. »

Quelque absorbans que soient les actes divers qui transforment dans une semaine un régiment venu de France, alourdi par la guerre de position, en troupe prête aux randonnées à travers l’Orient, ils laissent pourtant quelque place à la flânerie. Les guerriers que ne rebutent pas l’éloignement et la vulgarité des plaisirs saloniciens s’échappent vers la ville dont les minarets seuls émergent des nuages de poussière soulevés par les charrois ; les autres, chassés de leurs petites tentes par la chaleur du soir et les mouches harcelantes, errent dans le voisinage du camp et s’extasient devant les spectacles offerts gratuitement à leur ignorance de ruraux déracinés. Ils admirent l’allure et la jeunesse des troupes serbes qui reviennent d’une longue marche ou d’une manœuvre aux environs. Ils regardent, comparent et discutent jusqu’à ce que les sons assourdis d’une symphonie aigrelette les attirent vers des parages voisins. Ils se glissent entre les files de carrioles que conduisent des auxiliaires hindous, et vont faire cercle autour de la musique rudimentaire d’un régiment britannique venu du monde austral. Ils observent en se gaussant les grâces martiales du joueur de grosse caisse qui jongle avec ses mailloches, tandis que les fifres lui font cortège sur l’étroit espace où l’orchestre déambule rythmiquement comme des fauves en cage. Un bruit lointain de chants ne tarde pas à solliciter ailleurs leur curiosité. Ils s’orientent, et des appels rageurs de claksons les dispersent en vitesse dans les fossés du chemin : ce sont des automobiles italiens qui rentrent au camp de la division récemment débarquée. ils admirent au passage la belle ordonnance des tentes, l’aspect cossu des troupes tout de neuf équipées, le luxe enviable d’un matériel où tout semble combiné pour étonner les frères d’armes de l’Entente. Les voilà maintenant près du bivouac où ils aperçoivent les chœurs qui les intriguaient : ce sont les soldats serbes qui font revivre la patrie dans leurs mélodies au rythme grave et plaintif. Non loin de là, les Russes prient en commun sous les étoiles, et leur altitude révèle une impressionnante ferveur : « Sont-ils calotins, tout de même ! » gouaille un loustic vite rappelé par ses camarades au respect du culte professé par nos amis et alliés. ils s’ébaudissent maintenant au spectacle des « loyalistes » qui n’ont pas voulu rompre leur serment de fidélité