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avec la batterie de la garde nationale dont ses deux fils font partie [1]. « Le 144e bataillon de la garde nationale se transporta chez le poète, avenue Frochot, et le chef de bataillon lui lut l’adresse suivante : « La garde nationale fait défense à Victor Hugo d’aller à l’ennemi, attendu que tout le monde peut aller à l’ennemi et que Victor Hugo seul peut faire ce que fait Victor Hugo. » Il y a en lui de l’athlète et du paladin, redresseurs de torts, Eviradnus français à qui manque l’armure, mais à qui la plume tient lieu d’épée. « J’engage donc le combat, écrit-il en 1854, avec le dominateur actuel de l’Europe. » Ses auteurs favoris, à Jersey, ce sont « les vieux lutteurs, » Dante, Agrippa, Montluc. Ses vers, Ultima verba, son refus écrit d’accepter l’amnistie offerte aux proscrits par le régime impérial ont des raideurs de riposte et des éclairs d’acier. Et quel est le soldat blessé qui ne proclamerait avec lui que


... La blessure est l’altière faveur
Que fait la guerre au brave illustre, au preux sauveur ?


L’influence atavique autant que la nature des spectacles que Victor Hugo enfant eut sous les yeux en Italie et en Espagne, et l’atmosphère de batailles créée autour de sa jeunesse par les événemens contemporains, expliquent le caractère non seulement militant, mais militaire, de son œuvre poétique. Les visions guerrières la traversent d’un bout à l’autre, l’animent de cliquetis d’épées, de chocs d’armures, de ruées frénétiques, de mêlées sanglantes. Le tableau de la guerre que Le Satyre fait succéder à l’âge d’or, au pur bonheur initial de l’humanité bientôt asservie par les tyrans,


Il dit la guerre ; il dit la trompette et le glaive,
La mêlée en feu, l’homme égorgé sans remords...


se diversifie en vivantes images depuis les Odes et les Orientales jusqu’à Toute la Lyre. C’est, dans la septième Ballade, développé avec une significative abondance, le furieux combat que se livrent les deux armées de Halbert, baron normand, et Ronan, prince de Galles, les cuirasses froissées, les dagues trempées de sang, les fantassins mordant le poitrail de fer des

  1. Choses vues. Nouvelle série.