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sur leur face impassible, marquaient le pas sur place, avançaient un peu ou reculaient un peu, et formaient un anneau qui se mouvait très lentement. Cette danse, qu’on retrouve dans tout l’Orient, et qui n’a pas dû varier beaucoup depuis les noces d’Hélène, n’évoque pas les délires dionysiaques. Elle a plutôt un caractère religieux. Pendant des heures et des heures, les danseurs tournent ainsi, avec une gravité et une lenteur solennelles, et si cet exercice leur cause un sentiment quelconque de plaisir, ce sentiment ne se révèle pas sur leur visage.

Les bonnes femmes, que je connaissais déjà, avaient apporté des chaises pour les visiteurs. Les vieilles au grand fichu noir dont les figures ont une noblesse naïve, vinrent me saluer, en me touchant la joue de leur main ridée. Hora kali ! — Karisto. Je revis Katerini la dentellière qui ressemble à une peinture alexandrine, Polyxeni qui ressemble à Mireille, et la fille folle qui va toujours, les cheveux dénoués, et croit voir des zeppelins dans le ciel.

A loisir, j’ai pu observer les types. Quel contraste entre la hideur des maisons, le ridicule ingénu de certaines toilettes neuves, — modernes, hélas ! d’un arrangement comique sur ces corps de paysannes robustes, — et le caractère antique de la danse ! Il y avait là des femmes engoncées dans leurs robes de satin cotonneux, d’un bleu terrible ou d’un rose criard, des femmes qui eussent été belles parées de la simple chemise en grosse toile, du tablier rayé, du voile blanc. Presque toutes ont de grands yeux, des dents parfaites, et d’admirables chevelures. Les longues tresses des jeunes filles, enflammées par le henné, luisaient sur leurs épaules, comme des cordes de pourpre, et certaines avaient la riche couleur rouge chère aux sculpteurs archaïques qui teignaient ainsi les tresses des statues votives destinées au Parthénon primitif. Les mains des rustiques danseuses portaient aussi des traces de teinture, car toutes les jeunes filles avaient dû collaborer à la coiffure des mariées, ce qui est un gage d’heureux amour et de fiançailles prochaines. Les six nouvelles épouses arboraient donc cette même couleur rutilante, et leurs cheveux flottans ou nattés tombaient très bas sur leurs robes blanches ; mais c’était là, semblait-il, la seule concession que leur féminine coquetterie eût consentie au vieil usage. La robe était toute moderne, et la couronne d’oranger aurait pu décorer une tête de mariée occidentale. Pourtant quelques fils d’argent s’y mêlaient, avec un autre ornement bien imprévu,