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qui ouate le paysage et amollit les formes, on distingue des silhouettes d’hommes qui en silence s’alignent et se rangent comme pour la manœuvre. Derrière la ligne de tirailleurs déployés en éventail, le 102e bataillon s’avance et gagne le ravin du Bazil. On voit ses colonnes d’escouade apparaître, s’évanouir, reparaître à nouveau. Rien n’arrête leur progression lente et méthodique, articulée par une volonté puissante et tenace. Tous ces hommes, dont l’énergie ramassée est tendue vers l’ennemi, semblent un organisme unique qui essaie ses forces et prend conscience de sa valeur. A treize heures, sans bruit, les colonnes d’escouade s’étirent et se transforment en chaînes continues de tirailleurs. L’arme à la main, les chasseurs du 102e bataillon s’avancent et gagnent la crête qui domine le ravin du Bazil. Aucune résistance : serait-ce donc un piège ? De-ci, de-là, des patrouilleurs se détachent et gagnent la croupe qui domine nos positions. Une fusillade vive les accueille. — Ils sont là. Impatiens, les chasseurs courent à l’ennemi et le crépitement des mitrailleuses ne réussit pas à briser leur élan. — Rendez-vous ! rendez-vous ! Les sommations s’accompagnent de gestes significatifs, tandis que de part et d’autre la fusillade reste vive. — Rendez-vous ! rendez-vous ! Le crépitement jaillit, et l’on voit se profiler sur le ciel sombre quelques ennemis qui font mine de jeter bas les armes : Kamerad, Kamerad... Méfians, les chasseurs continuent leur progression de trous d’obus en trous d’obus. Ils ne sont plus qu’à 50 mètres, et l’on distingue la haute silhouette d’un capitaine allemand qui lève les bras et incite, semble-t-il, ses hommes à le suivre. Geste loyal ? non : c’est simplement la réédition d’une vieille ruse habituelle de nos ennemis. Nos vitriers n’ont pas avancé d’une semelle que toutes les ombres s’évanouissent, démasquant les mitrailleuses. Cette félonie redouble l’ardeur de nos troupiers : balles et grenades arrosent bientôt les lignes de l’ennemi, qui faiblit sous le choc et cherche son salut dans la fuite. Mal lui en prend. Les fusiliers accourent à l’aide de leurs camarades et prennent d’enfilade les boyaux par où l’Allemand tente d’échapper à nos coups. Blessés et mourans jonchent le sol, et nos chasseurs s’élancent à la poursuite des fuyards. Leur défaite tourne bientôt en déroute ; nombre d’entre eux, jetant armes et bagages, cherchent refuge dans nos lignes. Heureux de leur succès, les hommes arrachent aux prisonniers quelques dépouilles opimes :