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obus éclatent derrière elles. Elles déferlent implacables dans le ravin de Chambitoux qu’elles traversent. De quelques boyaux ou abris qu’a épargnés notre artillerie, des balles sifflent. Les nettoyeurs de tranchées s’y précipitent : quelques grenades bien ajustées, et les Boches font » Kamarad. « Ahuris par notre apparition soudaine, hébétés par le bombardement, ils donnent des cigares, des cigarettes, leurs bidons, leurs casques à leurs gardiens ; ils n’ont qu’une pensée : vite sortir de cet enfer. — « Verdun, c’est là-bas, on va vous y conduire, » dit un loustic. Dans deux abris à notre droite, des groupes ne veulent pas se rendre, ils tirent sur les chasseurs. Le sergent M... s’approche des abris : deux grenades incendiaires... et l’on n’entend plus rien. Une fumée épaisse s’échappe de ces abris qui continuent à brûler jusqu’au soir. L’avance continue, lente, méthodique. Les obus de nos 75, qui font barrage en avant de nous, refrènent l’ardeur des impatiens. La fumée augmente, le brouillard est épais, on se dirige à la boussole. Le ravin du Bazil est franchi, la tranchée de Berlin nettoyée, les prisonniers affluent. Les chasseurs sont joyeux de voir leurs groupes qu’on ramène à l’arrière. A douze heures trente, la voie ferrée est atteinte. A douze heures trente-huit, les vagues sont arrivées au sommet de la crête Nord du ravin qui est le but assigné. Les fusiliers mitrailleurs, placés à quelques mètres en avant, scrutent de tous leurs yeux le brouillard traître derrière lequel les contre-attaques se préparent sans doute. Les chasseurs, sous cette protection, s’organisent et creusent des tranchées pour garder le terrain conquis. Le signal convenu est envoyé : « 116e chasseurs objectif atteint. » C’est comme un rauque cri de victoire dominant le fracas du bombardement. »

Cinquante-huit minutes ont suffi aux vitriers pour atteindre successivement les deux objectifs : ce record de vitesse prend les allures d’une marche triomphale.

Non moins alerte et lyrique est le récit du 102e bataillon de chasseurs qui opère à la droite du 116e. On dirait que leurs chefs écrivent comme leurs fanfares sonnent et comme leurs colonnes courent : « L’attaque sera déclenchée à onze heures quarante : » c’est l’ordre du général. A l’heure dite, les chasseurs quittent les parallèles de départ : aucune hésitation, aucun flottement, en dépit même du tir de barrage que l’artillerie allemande concentre sur Fleury. Chacun est à son poste, et, dans la brume légère