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Comment quitter les zouaves sans relater ici l’une des aventures les plus stupéfiantes de la bataille, un véritable conte des Mille et une Nuits, tout à coup intercalé parmi les chants d’épopée ? Et précisément à cause de son air de conte des Mille et une Nuits, il faudra bien donner à cet épisode l’authenticité d’un rapport. J’ai dit que les vagues d’assaut avaient passé par-dessus des abris bourrés de Boches sans prendre le temps de les nettoyer et qu’il y eut, le soir du 24 et même les jours suivans, des combats à l’intérieur de nos nouvelles lignes entre nos hommes et des fantassins allemands sortant de leurs trous et ne comprenant rien à leur situation singulière. Mais ce qui arriva au sergent Julien est autrement bizarre. Il s’empara à lui tout seul de six officiers, deux cents soldats et six mitrailleuses, et il en fut le plus étonné. Il appartient à la 13e compagnie du 4e zouaves. Voici comment le rapport de sa compagnie relate le fait :

« Dans la nuit du 24 au 25 octobre 1916, la corvée de ravitaillement de la 13e compagnie du 4e zouaves, conduite par le sergent Julien, se rendait de la route Douaumont-Bras, objectif atteint au cours de la journée, au point de ravitaillement de... La nuit était très obscure : elle perdit momentanément sa direction et se trouva vers vingt-trois heures sur le plateau au Sud-Ouest du fort de Douaumont.

» Soudain le sergent Julien et le zouave Bourdassol qui 

marchaient en tête, se virent mis en joue par une chaîne de tirailleurs dont les ombres avaient surgi à quelques pas.

« A peine avaient-ils crié : « Quatrième zouaves, ne tirez pas ! » qu’ils furent entourés et saisis avec le zouave Gueno qui marchait le troisième ; le reste de la corvée put s’esquiver,

« Les trois prisonniers furent précipités violemment dans une sape profonde au fond de laquelle s’ouvrait une longue galerie, fort bien éclairée et garnie de provisions, tonneaux d’eau-de-vie, conserves, etc. Ils furent conduits dans une chambre où se trouvaient six officiers allemands. Ils apprirent alors qu’ils étaient dans un certain ouvrage M [1]. dépendance du fort de Douaumont, occupé par une compagnie allemande.

  1. Cet ouvrage a été identifié. C’est l’Abri 320, proche le fort de Douaumont.