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la machine dans une force concrète et actuelle, l’Etat, et non dans un idéal nuageux, distinct de la réalité. Ils ont su, disent-ils, se faire virilement réalistes, tandis que leurs adversaires sont demeurés des rhéteurs, des sentimentaux, des peuples féminins. Une force réelle préexistante est immédiatement capable d’agir, de s’accroître, de réduire et de s’incorporer des forces étrangères. Mais, des mots les plus sonores et des rêves les plus éthérés on ne peut tirer que du vent et des abstractions. Les Latins, race légère et crédule, parlent avec emphase, et attendent d’un heureux hasard l’apparition du phénomène qu’ils appellent par leurs incantations. L’Allemand, pour obtenir l’effet, commence par poser la cause.

Sur ce point encore, la doctrine allemande est très contestable. Sans doute, certains systèmes philosophiques veulent que l’idée ne soit jamais que le pâle reflet de l’action, l’épiphénomène stérile par lequel notre conscience, ignorante et infatuée, se représente comme un but qu’elle vise ce qui, en réalité, s’opère sans elle. Seul, le fait, nous dit-on, engendre le fait, et nul discours n’est efficace, s’il n’exprime l’action même qui, suivant les lois d’une nécessité mécanique, est en train de se réaliser.

Mais ce déterminisme radical, qui ne veut admettre, dans le rapport du passé à l’avenir, aucune possibilité de contingence, est loin d’être définitivement établi. Aujourd’hui même, d’importantes écoles philosophiques, sinon en Allemagne, où le fatalisme est chez lui, du moins dans les pays de civilisation classique, maintiennent l’antique doctrine suivant laquelle il peut réellement y avoir dans ce qui vient après, par rapport à ce qui précède, quelque chose de nouveau, quelque élément dû à l’intervention d’une activité véritable. « Le monde, aimait à dire William James, n’est pas tout fait (ready made), il est, aujourd’hui encore, et il sera toujours, en train de se faire (in the making). Et, avec sa verve humoristique, il ajoutait : « Il y a, bien véritablement, des idées que nous pouvons enfourcher » (ideas upon which we can ride), c’est-à-dire des idées qui sont capables de nous mener au but qu’elles nous représentent.

C’est que l’idée n’est pas nécessairement cette abstraction, cette chose inerte, que vise et que consacre le travail propre du savant. L’idée scientifique, si merveilleuse, est, en réalité, une création de l’esprit, cherchant une méthode adaptée à ses