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L’ALLEMAGNE ET LA GUERRE
TROISIÈME LETTRE [1]


LES FORCES MORALES


Monsieur le Directeur et cher Confrère,

J’ai entendu dire en Amérique que l’art de parler consiste en trois points : 1° avoir quelque chose à dire ; 2° le dire ; 3° se taire. Je croyais, je l’avoue, en être au troisième moment. A quoi bon songer et philosopher, à l’heure actuelle ? Socrate nous enseigne que, si les hommes savent, dans une certaine mesure, ce qu’ils veulent faire, ils ne savent, à aucun degré, ce qu’ils font effectivement, parce que les dieux se sont réservé le soin de tirer les conséquences de leurs actes, c’est-à-dire d’en déterminer le sens. Je doute que, dans le passé, on ait jamais saisi ce que signifiaient le Saint-Empire romain de nation germanique, le rêve de Charles-Quint, le traité de Westphalie, la formation de la Prusse, la philosophie de Fichte, les traités de 1815, la question d’Alsace-Lorraine, les guerres de 1864-66-70, comme, aujourd’hui, on est en mesure de le faire. Raisonner sur les événemens en cours est la plus décevante des fantaisies. J’ai maintes fois observé que les inductions les plus savamment construites par les spécialistes les plus qualifiés étaient brutalement démenties par l’événement. L’homme ne peut prédire que le passé.

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1914 et du 15 mai 191S.