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pièce pour nous dénigrer nous-mêmes, aurions-nous dit, et découpée dans le tableau de notre décadence. Mais puisqu’on n’en fait pas d’autres ! Il paraît qu’une pièce, où l’on ne nous représenterait pas, nous tous tant que nous sommes, sous les espèces du ridicule ou de l’odieux, n’aurait aucune chance d’être représentée sur une scène française : ce dont meurt notre pays, c’est de cela que vit notre théâtre. C’est ainsi. » Peut-être, en écoutant les Noces d’argent, aurions-nous regretté qu’on tînt si longtemps notre attention fixée sur de si pauvres choses et si parfaitement dénuées d’intérêt. Car enfin qu’un gamin qui s’émancipe trompe une femme du monde avec une actrice, ou qu’il trompe une actrice avec une femme du monde, qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Peut-être aurions-nous supputé que la liste était déjà longue des comédies rosses, et que le besoin ne se faisait pas sentir de l’allonger encore. Et peut-être aurions-nous fait cette remarque qu’un parti pris de pessimisme n’est pas du tout une garantie de justesse dans l’observation et qu’une pièce peut être amère sans être vraie... Je dis « peut être, » car nous en étions venus à tout accepter. En vertu d’une convention tacite passée avec les auteurs, les entrepreneurs de spectacle et le public lui-même, il était entendu que le rôle de la critique devait se borner à enregistrer le succès des pièces, le principe étant posé une fois pour toutes que toute pièce nouvelle ne pouvait être qu’un nouveau succès. Nous n’aurions d’ailleurs pas manqué de louer l’auteur, comme nous le faisons encore, pour sa dextérité qui est réelle, pour les qualités de son dialogue qui est vif et net, semé de formules ingénieuses et de traits qui passent la rampe. Après quoi, la conscience en repos, nous serions retournés à nos affaires, c’est à savoir : béer devant les ballets russes ou pâlir sur la question des origines du tango...

Mais, depuis lors, un coup de tonnerre a éclaté, qui nous a réveillés de notre torpeur. Nous avons eu la brusque révélation que nous nous étions trompés sur beaucoup de points et d’abord dans le jugement que nous portions sur nous-mêmes. L’optique s’est trouvée changée, l’ordre des valeurs a été bouleversé. Et tant de choses se sont passées, si effroyables, si magnifiques ! Nous vivons dans une telle atmosphère de deuil, d’abnégation, de volonté énergique ! Quand des propos de 1914, — comme ces paroles gelées qui fondent au dégel, — viennent à retentir dans cette atmosphère pour laquelle ils n’étaient point faits, ils y sonnent étrangement et, pour tout dire, ils y détonnent péniblement.

Arrivons à l’analyse de la pièce. Nous sommes... Mais au fait où