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tumultueuse, sous un aspect un peu froid. Il ne me cacha pas le fond de sa pensée en ce qui concernait la guerre.

— Le peuple russe, me dit-il, est fatigué de mourir pour un gouvernement qui ne fait rien pour lui. Il a conscience de l’insuffisance de préparation militaire. Jusqu’à présent, on n’a rien fait, ou on n’a fait rien... que des promesses. A moins que la Douma ne mette ordre à cet état de choses, les Allemands seront victorieux, car si la Russie n’est pas à bout d’hommes, elle est à bout de forces.

Puis, après un instant de grave silence :

— Rappelez-vous ce que je vous dis aujourd’hui : la Russie marche vers la défaite ou vers la Révolution. Nous n’ignorons pas combien une révolution serait dangereuse en temps de guerre. Cependant cela seul peut nous sauver !

Tragique duel qui, de la trahison de Soukhomlinoff au 23 février 1917, fut celui de tant d’âmes russes !

Je pensais à ces paroles prophétiques en pénétrant dans l’immense vestibule de la Douma. J’y rencontrai le docteur Séguel, de la Croix-Rouge russe. Il me mit au courant des événemens qui s’étaient déroulés dans l’enceinte du palais.

Hier mardi, 28 mars, à dix heures du soir, le président du Conseil, Protopopoff, s’est présenté ii la Douma. Il était pâle ; sa lèvre pendait. Ses épaules, subitement voûtées, témoignaient d’un immense accablement. Il semblait porter sur lui le lourd fardeau de ses fautes. Il accosta un milicien.

— Je suis Protopopoff. En citoyen fidèle à sa patrie, je viens me présenter au gouvernement provisoire. Conduisez-moi.

Kérensky prévenu arriva et, au nom du gouvernement, arrêta l’ancien président du Conseil. Puis il le fit entrer dans le cabinet des ministres. Sur le seuil. Protopopoff dit quelques mots à l’oreille du leader socialiste, qui renvoya aussitôt les soldats de garde. Les deux hommes eurent ensuite une longue conversation dont rien n’a transpiré jusqu’ici.

Le nouveau Cabinet est constitué. Les membres du gouvernement provisoire se sont mis d’accord sur les noms à cinq heures du matin ; mais ce n’est que vers midi que le bureau de la presse on a donné communication.

Presque tous les grands corps de l’État sont venus ou viennent apporter leur adhésion à la Douma. Le grand-duc Cyrille Vladimirovitch s’est présenté le premier, comme commandant