Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Serguiewskaïa (rue Serge), qu’il habite, la police a placé des mitrailleuses sur l’église, on tire de la rue et des toits, on perquisitionne dans les maisons. Les révolutionnaires ont pillé plusieurs caves et s’enivrent à qui mieux mieux. Heureusement ces pillages sont peu nombreux par rapport au nombre total des révolutionnaires et à l’immense étendue de la ville. Combien nous devons de remerciemens au Tsar pour l’abolition de l’alcool !... De quels excès n’eût pas été capable cette multitude enivrée de vodka !...

Au coin de Litiény et de Serguiewskaïa on édifie hâtivement un abri pour deux canons et un mortier, tirés de l’Arsenal. Les gueules en ont été tournées dans la direction de la gare de Tsarskoié-Sélo d’où l’on s’attend à un débarquement de troupes impérialistes.

L’hôtel Astoria (Hôtel militaire) a été pris ce matin, les troupes de Péterhoff sont arrivées à Pétrograd pour se joindre au peuple. Le succès de la Révolution paraît déjà certain...


5 heures et demie. — M. Michel arrive. Il vient de traverser le pont Nicolas et la place de l’Annonciation. Ce ne sont plus les troupes fidèles, mais celles de la Révolution qui gardent les ponts sur la Néva. Tous les soldats sont hors des casernes, et armés. Comme il passait devant le 2e Équipage de la Baltique, le tir d’une mitrailleuse installée sur le toit de l’église luthérienne éclate au bout de la Morskaïa. Les matelots répondent. Un feu désordonné s’ouvre dans trois directions à la fois. Tout le monde se couche, sauf lui, vaguement abrité contre le mur de la caserne, et un ouvrier qui invective les matelots en les traitant de poltrons ! L’homme porte un bras en écharpe et de l’autre, resté libre, il accompagne ses paroles de gestes indignés !

— Il fallait absolument mettre un peu d’ordre dans ce chaos, explique M. Michel. Je me plaçai au milieu de la chaussée et, agitant largement les bras, je criai de toutes mes forces : « Prikratitié ognogne ! » (Cessez le feu !)

Le commandement se propagea de distance en distance. La fusillade s’arrêta sur un point. Encouragé par le succès, je répétai la même manœuvre du côté du théâtre Marinsky. Elle obtint le même résultat. Seuls continuèrent à tirer les marins qui luttaient contre les policiers et leurs mitrailleuses. Je