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sans chefs pour le guider et le retenir, abandonné à ses instincts de colère et de vengeance et, après, ce seront les horreurs d’une implacable répression.

Un certain nombre de députés, très abattus par la décision impériale, parlaient d’obéir ; d’autres affirmaient que l’on aurait l’armée avec soi, qu’il fallait jouer le tout pour le tout. L’hésitation dominait. Quelques-uns désiraient conférer avec leur groupe avant de prendre une décision. Un des leaders les plus hardis et les plus écoutés de la gauche, M. Kérensky prenait, dit-on, son chapeau et s’apprêtait à sortir... A ce moment une chose inouïe se produisit : une femme, Mme Sonia Morozova, entre au palais de Tauride en criant : « J’amène l’armée ! » Le régiment de Volhynski, compté parmi les plus fidèles, se rangeait devant la grille de la Douma...

Aussitôt tout change ! Les députés qui allaient partir se ravisent, l’enthousiasme un instant ralenti se ravive...

Voici ce qui s’était passé. Le régiment de Volhynski ayant pris des armes et forcé les portes de sa caserne était sorti dans la rue, sans but bien précis. Il rencontra des détachemens des Préobrajensky qui se joignirent à lui. Quelqu’un proposa d’aller libérer les prisonniers de la rue de Tauride. Beaucoup s’y rendirent. Les autres se consultaient, indécis. Sonia Morozova vit ces hommes, eut la prescience rapide du rôle qu’elle pouvait jouer parmi eux et les entraîna en criant : « A la Douma ! » Ils y arrivèrent sans rencontrer d’opposition.

Rassurée par ce secours inattendu, la Douma a repris ses travaux. M. Rodzianko, nommé chef du gouvernement provisoire, est chargé de rédiger une Constitution. C’est 1789 et le serment du Jeu de Paume qui recommencent. Nul ne peut plus prévoir où les événemens s’arrêteront...

Matinée anxieuse. Guiorgni, le matelot, est allé plusieurs fois aux informations. Notre quartier est encore tranquille. Combien d’heures cela durera-t-il ?

Le drame commence, déjà terrible et sanglant. L’Arsenal est pris. Le gouverneur, général Matoussoff, a été tué. Le Palais de Justice est en flammes.

Sur la perspective Litiény, un praportchik ayant donné l’ordre de tirer contre la foule a été tué à coups de sabre, par ses propres soldats, sur l’escalier d’une maison où il cherchait un refuge. Des troubles sanglans ont lieu à Viborskaïa et à