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« La situation empire. Il faut prendre des mesures immédiates ; demain il serait trop tard. L’heure suprême est arrivée où vont se résoudre les destinées du pays et de la dynastie. »

Le lieutenant et sa femme rentrent du théâtre, avec deux amis, — deux voisins, — qu’ils y ont rencontrés. Il est minuit ; nous prenons le thé en commentant les événemens.

La représentation du ballet a eu lieu sans incidens. Toutefois, on remarquait des vides dans la salle ordinairement archicomble. Beaucoup d’automobiles de maîtres stationnaient devant la porte. Cela prouve que, de ce côté au moins de la Neva, la circulation est encore possible. En dehors des autos ou des équipages privés il ne reste plus aucun moyen de locomotion. Des traîneaux, montés et conduits par des révolutionnaires, parcourent les rues et obligent les isvostchiks à la grève. Nos amis qui en avaient décidé un à les reconduire à leur domicile ont été contraints de l’abandonner à mi-chemin sous la pression de la foule.

Si l’Empereur n’intervient pas immédiatement en donnant satisfaction au peuple, rien n’arrêtera la révolution.


Lundi 27.

Des gardavoïs (agens de police) passent dans les maisons pour avertir les habitans paisibles de ne pas se montrer dans les rues aujourd’hui. De tous côtés, des amis inquiets nous téléphonent le même avis. Comme Rodzianko le télégraphiait hier à l’Empereur, c’est aujourd’hui que va se jouer le sort du peuple et de la dynastie !...

Le Tsar n’a pas répondu. Les télégrammes des généraux Broussiloff et Rouzsky annonçant, chacun avec des termes un peu différens, qu’ils ont fait leur « devoir envers l’Empereur et la Patrie » ne suffisent pas à calmer l’effervescence. Des grandes résolutions, le peuple va passer aux faits.

Un ami, bien placé pour avoir les nouvelles les plus rapides et les plus sûres, me téléphone de la Douma. Les événemens décisifs ont commencé. A huit heures du matin, les députés ont eu connaissance d’un oukase du Tsar prorogeant l’Assemblée. Aussitôt la nouvelle connue, un sentiment de consternation et d’abattement s’est emparé de toutes les âmes. La Douma renvoyée, c’est le pays livré à Protopopoff et aux germanophiles, la guerre perdue et la Russie trahie. C’est aussi le peuple,