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Burian chargea donc le comte Czernin de transmettre verbalement la communication suivante à Bucarest :


Confiant [1] dans les assertions de M. Bratiano que la Roumanie repousserait par la force toute atteinte armée à sa neutralité, éventualité qui, — à l’instar de l’incident de Marmornitza, — pourrait se renouveler d’un jour à l’autre dans des dimensions bien autrement sérieuses, le gouvernement impérial et royal, dans l’intention d’éclairer et de rassurer dès à présent le gouvernement roumain, lui fait savoir que, dans le cas où le gouvernement roumain ne se trouverait pas ou ne se croirait pas à même de s’opposer efficacement à une invasion armée russe, il prendra de sa part toutes les mesures militaires que la sécurité des frontières austro-hongroises exigerait et qui seraient jugées nécessaires pour rétablir un état de choses qui permettrait à la Roumanie de garder sa neutralité.


Sur la demande du baron Burian, le prince de Hohenlohe envoya de Berlin des instructions semblables au représentant de l’Allemagne à Bucarest.

Le président du Conseil roumain cherchait encore à gagner du temps. Il répondit à cette communication que l’Autriche-Hongrie pourrait l’aider beaucoup à maintenir la neutralité en abandonnant à la Roumanie un territoire en Bukovine.


J’ai évité de répondre directement à cette tentative d’extorsion (Erpressungsversuch), — écrivait le comte Czernin à son chef [2], — parce que j’ignorais les intentions de Votre Excellence à cet égard. J’ai dit seulement que l’idée d’une cession territoriale de notre part pour prix de la neutralité roumaine devait être absolument abandonnée.

En effet, les Roumains pourraient fort bien accepter une telle concession et cependant nous attaquer ensuite, s’ils nous tenaient pour battus, afin d’obtenir encore davantage.

Notre entretien se poursuivit avec des reproches de ma part au sujet des envois de troupes qui se continuaient contre nous. Je parlai cette fois plus clairement encore que de coutume et je dis au ministre « que, s’il voulait avoir la guerre, il l’aurait ; mais qu’il ne devait pas me croire assez niais pour ne pas voir ses préparatifs. » M. Bratiano témoigna alors une émotion visible et, comme toujours, opposa un démenti catégorique aux faits que je lui exposais d’une façon détaillée. Suivant lui, les préparatifs militaires dont je me

  1. En français dans le texte.
  2. Télégramme de Bucarest, 8 août 1916.