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de cette audience. Le prince a si souvent changé d’avis qu’on ne peut guère se fier à ses déclarations. Il commença par me dire que le monde entier voulait la guerre contre nous et il répétait constamment : « Je ne sais comment cela finira. Une seule chose est impossible : la guerre contre la Russie, sinon tout est possible ! »

Le prince qualifiait d’ailleurs cette politique voulue par le peuple de « suicide de la Roumanie : » si la Roumanie marchait avec la Russie, elle deviendrait sa vassale, et, si l’Autriche était victorieuse, la Roumanie se verrait punie de son attitude ; mais, répétait-il, « que faire contre la volonté d’un peuple ? »

Je lui ai répondu : Sa Majesté, mon très gracieux maître, connaît les difficultés de la situation, mais il sait que le prince royal est, tout comme le Roi, un homme d’honneur et, dès lors, incapable d’une aussi misérable trahison.

Alors le Prince royal fut complètement retourné. « Si je faisais cela, déclara-t-il, je me conduirais comme un mauvais drôle (ganz gemeinter Kerl). Avant tout, l’honneur ! L’histoire n’aura pas à enregistrer pareille félonie, etc. » Bref, tout le contraire de ce qu’il avait dit au début. Mon impression est des plus mauvaises : le prince est l’instrument sans volonté de son entourage qui n’inspire aucune confiance.


Le 30 septembre, le roi Carol traçait encore de sa main défaillante ces lignes au comte Czernin :


Le Conseil de la Couronne va se réunir dans quelques jours ; ma santé et le désir de gagner du temps ont fait retarder cette réunion. Il est à souhaiter qu’on s’en tienne à une déclaration de neutralité. Pour l’instant, c’est encore le mieux. Puissent nous arriver bientôt des nouvelles de victoires !


A ce moment, le bruit courait, dans les cercles de la Cour, que le Conseil de la Couronne allait décider l’entrée des troupes roumaines en Transylvanie. « On en parlait déjà comme d’un fait accompli, » ainsi que de l’abdication de Carol et de l’avènement du Prince royal... Quarante-huit heures plus tard, tout était changé : l’opposition venait de s’entendre avec le Cabinet pour maintenir la neutralité et renvoyer les réservistes dans leurs foyers. C’est qu’on se rendait compte de part et d’autre que les jours du Roi étaient comptés... De fait, Carol succomba dans la journée du 10 octobre.

Peu de temps après cet événement, le comte Czernin prévenait son gouvernement que la situation s’était considérablement