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dénégations du gouvernement de Bucarest, l’époque précise où l’armée roumaine entrerait en campagne. Ajoutons qu’il devait être remarquablement renseigné par ses agens secrets qui le tenaient au courant de ce qui se passait jusque dans les réunions du Conseil des ministres.

Pourtant, au début de la guerre, le diplomate autrichien put espérer que la Roumanie conserverait tout au moins la neutralité. Il savait quelle rancune les Roumains gardaient à la Russie de leur avoir pris la Bessarabie au lendemain de la glorieuse campagne de 1877-78 contre les Turcs. Avant tout, il comptait sur la parole du roi Carol qui, resté très allemand, « très Hohenzollern, » comme lui-même le rappelle sans cesse dans ses Mémoires, s’était trouvé en plein désaccord avec ses sujets et avait même failli perdre sa couronne lors de nos défaites de 1870 [1], mais qui, depuis, avait profité de l’affaire de Bessarabie et de la popularité acquise par lui devant Plevna pour orienter de plus en plus sa politique du côté de la Triplice avec laquelle il s’était lié, dès 1883, par un traité secret plusieurs fois renouvelé depuis.

Cependant, malgré les apparences, la plupart des Roumains n’avaient pas oublié ce qu’ils devaient à la France, et la situation se trouva complètement changée à partir de la mort du roi Carol. Élevé en Roumanie, marié à une princesse anglaise, l’héritier du trône devait oublier moins malaisément ses origines germaniques et « se vaincre lui-même » pour adopter uniquement les vues et les intérêts de son peuple. Dès lors, le comte Czernin n’ose plus espérer que le nouveau souverain résistera longtemps au courant qui porte ses sujets à s’allier à l’Entente. Il emploie tout son art à retarder le moment fatal, espérant encore que des victoires décisives des Puissances centrales obligeront la Roumanie à garder une neutralité bienveillante à l’égard de l’Autriche ; il s’attache à inspirer des craintes salutaires à M. Bratiano et aussi des remords au roi Ferdinand en rappelant à celui-ci les engagemens pris par son oncle, l’impossibilité morale de rompre « le pacte d’honneur » qui le lie.

Le 22 juillet 1914, le comte Berchtold, ministre des Affaires étrangères, chargeait le comte Czernin de même que les autres

  1. Voir à ce sujet le livre où, sous le titre : Quinze ans d’histoire (1866-1881), nous avons essayé d’analyser les curieux mémoires du roi Carol (Plon éd.).