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Le bon Dieu z’y pourvoira.
Fait’s-en tant qu’Versaille en fourmille !… etc.[1].


C’était sans façon ; mais, encore une fois, ça se passait en famille !… Ces choses, dites de bon cœur et acceptées de même, n’étonnaient alors personne et réjouissaient nos bons aïeux ; quant à l’impression qu’elles suscitaient chez les étrangers, elle fut résumée par un mot de l’empereur Joseph II qui, se trouvant, un soir, à l’Opéra, avec Marie-Antoinette, fut si frappé de l’enthousiaste et affectueux accueil fait par le public à la souveraine, qu’il s’écria : « Quelle charmante nation ! » Sur quoi, le Comte d’Artois lui sauta au cou en disant : « Voyez comme nous aimons nos maîtres ! » Tout ce qui était à portée, écrit un témoin, « fondit en larmes de joie[2]. »


À pousser davantage le tableau, on risquerait de faire rire : ce peuple et ces souverains qui pleurent, dès qu’ils se rencontrent, tant ils s’aiment, paraîtront exagérément sensibles ; mais, à coup sûr, cette sentimentalité comptait pour beaucoup dans l’irrésistible charme de l’autrefois et l’on ne pouvait s’abstenir de lui donner une place dans un essai d’exégèse du mot de Talleyrand évoquant avec mélancolie l’attrait aboli du temps de sa jeunesse. La société dont il déplorait la disparition était, nous avons tenté de le montrer, simple, polie, accueillante, cordiale, confiante, gaie et affectueuse ; et voilà bien des agrémens qui justifieraient, en effet, beaucoup de regrets, s’ils étaient perdus pour toujours. Mais il n’en est rien : la France les possède encore, ces vertus de nos pères, et on ne les lui prendra pas plus qu’on ne peut lui ravir son sol merveilleux, son climat enchanteur, son admirable situation géographique, tous les élémens de prospérité et de grandeur qu’elle a reçus du ciel. Seulement, comme nous n’aimons pas à passer pour naïfs et que nous nous sommes, à la longue, avisés que nous étions souvent les victimes de notre bonhomie constitutionnelle, nous avions mis un masque sur nos qualités héréditaires : un masque de scepticisme, de méfiance, d’ironie, d’indifférence et d’égoïsme. On saura plus tard quelle part eut à cette néfaste métamorphose l’instinctive mise en garde contre la pénétration des intrus

  1. Mémoires de Mme Campan, 1823, I, 272.
  2. Mémoires du duc de Croy, 361.