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partant, point d’ennui ; nulle place pour les rêveries troublantes d’une vie plus agitée et plus indépendante. Tout ce qui se consomme, tout ce qui sert à l’usage de la famille et de son entourage est l’œuvre de la maison. Les vêtemens mêmes sont faits sur place, d’étoffes fabriquées, avec la laine des moutons de la bergerie, par des tisserands de louage et cousues par un tailleur qu’on nourrit et qu’on paie six à huit sols à la journée. Le lin et le chanvre, récoltés dans la propriété, filés par les servantes, fournissent le linge ; comme on n’arrête pas d’en mettre sur le métier, comme il est inusable, il s’entasse en piles imposantes dans les énormes bahuts que nous venons d’apercevoir. Une famille de fortune médiocre a souvent des draps, des nappes et des serviettes par centaines, et le reste à l’avenant[1]. Le linge est le grand luxe de nos pères : on a retrouvé l’inventaire d’un ancien commerçant de Marseille, petit bourgeois, de condition très modeste : il possède six chemises de batiste, quatre en batiste plus fine, sept garnies de mousseline brodée, neuf plus ordinaires, quatorze en mangarline pour l’hiver, quarante-quatre mouchoirs de divers tissus, trente paires de bas, vingt et un bonnets de coton, quarante-huit coiffes de toile, etc.[2].

Quittons vite ces armoires au linge où nous risquerions de nous attarder, tant la contemplation en est révélatrice, pour revenir à notre campagnard périgourdin, dont bon nombre de nos contemporains n’envient point, sans doute, l’existence, à leur idée trop paisible et trop réglée. Les distractions ne lui font pas défaut, pourtant : il lit, nous l’avons vu ; mais que lit-il ? N’avez-vous jamais exploré l’un de ces grands greniers ménagés sous la toiture des anciennes maisons provinciales ? C’est dans ce « fourre-tout » que chacune des générations qui se sont succédé au vieil immeuble familial a relégué les épaves de celle qui l’y a précédée. Voilà le coin des livres : bouquins à tranches rouges, à reliures de « veau marbré, » voire de maroquin déchiré et terni : c’est la bibliothèque de l’arrière-grand-père qui fut juge à l’échevinage, ou procureur, ou notaire, ou rien, que propriétaire et agriculteur : — quelques livres de droit, recueils de « coutumes » souvent feuilletés ; des almanachs

  1. Docteur Poumiès de la Siboutie, Souvenirs d’un médecin de Paris, p. 8.
  2. Octave Teissier, La maison d’un bourgeois de Marseille au XVIIIe siècle, cité par M. H de Gallier, Les mœurs et la vie privée d’autrefois.