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ce dernier devait primitivement faire l’objet d’une opération postérieure, puis il fut compris dans le plan général. Ainsi la barrière des forts dressée devant Verdun serait-elle intégralement rétablie. Or le terrain à parcourir, battu depuis tant de mois, creusé de trous d’obus qui, souvent remplis d’eau, forment fondrières, ajoute des obstacles naturels aux obstacles dressés par l’ennemi. Ces derniers, l’artillerie les réduira, tout au moins dans leurs parties essentielles. Pour les autres, la qualité des troupes et leur connaissance du secteur en répondent. Il faut pourtant insister sur cette difficulté du terrain, sans quoi l’on ne se rendrait pas un compte suffisant de l’effort et de la valeur des troupes. « On a souvent tenté, a écrit le capitaine Gillet qui connaît le secteur et qui est, dans la vie civile, un critique d’art au style riche et savoureux, de décrire ce lieu indescriptible, ce paysage sans nom qui s’étend maintenant de Souville à Douaumont. Un général qui a parcouru les champs de bataille de tous les fronts assure qu’il n’y en avait pas, fussent les marais de Pinsk, de comparables à celui-là. On parle de paysages de cratères : ce qui en donnerait l’idée la plus exacte, ce sont les abords fangeux d’un abreuvoir piétiné par des milliers de bêtes. Mais il faut se figurer, au lieu d’empreintes de sabots, des entonnoirs où des cadavres flottent comme des mouches dans un bol. Car, avec l’habitude qu’ont les sources dans ce pays convexe de se percher sur les hauteurs, chaque trou devient un trou de boue rempli d’un dépôt visqueux de vase et d’eau croupie. Il y a eu là des drames, des sinistres, des engloutissemens d’hommes happés par ces trous. Tel part en corvée dans la nuit, tel coureur emporte un message qui ne revient jamais et dont on n’a plus de nouvelles. L’eau est sur ces plateaux une ennemie plus traîtresse, plus enveloppante, plus redoutable que le feu. A de certains endroits, autour du fort de Douaumont, cette argile détrempée, suante comme du beurre, a été tellement brassée, fouettée par les obus qu’elle a pris tout entière une boursouflure d’écume, la consistance d’une mousse de savon, cette apparence de grands bouillonnemens de lait qui est celle des mers en furie. »

Afin de ne pas excéder sur un pareil terrain les forces humaines, la marche en avant sera coupée en deux parties. Dans une première avance, le groupement des divisions d’attaque doit s’emparer de la ligne générale suivante : carrière d’Haudromont,