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sont-ils venus au jour ? Lisons là-dessus les continuateurs de Wolf et de l’abbé d’Aubignac. Frédéric Schlegel : « Ce n’est pas une œuvre qui ait été conçue et exécutée ; elle a pris naissance, elle a grandi naturellement. » Toute seule ? Mais oui. Et l’on perd son temps, si l’on objecte à ce Schlegel que cette façon de naître n’est pas « naturelle » du tout. Michel Bréal entend les différens mots de la phrase ; mais il note que, « dans l’ensemble, la pensée est difficile à saisir. » Jacob Grimm, à son tour : « La véritable épopée est celle qui se compose elle-même ; elle ne doit être écrite par aucun poète... » Et voilà ! L’épopée homérique, après l’anéantissement d’Homère, a pu sembler comme un peu orpheline. Orpheline ? Sans père ! Et Jacob Grimm assure que ce n’est point un accident qui soit arrivé à l’Iliade et à l’Odyssée : l’épopée doit être sans père. C’est la règle du jeu : un poète ? plus d’épopée. Et il ajoute : « L’épopée grecque est une production organique. » Le philosophe Steinthal redouble d’énergie : « Elle est dynamique. » Exactement, qu’est-ce que ça veut dire ? « L’allemand, répond Michel Bréal, se prête merveilleusement à ces formules qui, en leur obscurité, ont quelque chose d’impérieux... » Nous ne saurons pas, en français, ce qu’ont voulu dire, en leur allemand, les Schlegel, les Jacob Grimm et les Steinthal. Michel Bréal essaye de traduire leur jargon métaphysique et devine que, pour eux, l’épopée a en elle-même « sa force de développement. » Mais on reste, devant cette affirmation, très malheureux, fort incertain, tout dépourvu de clairvoyance. Les continuateurs de Wolf et de l’abbé d’Aubignac ont remplacé Homère par une société anonyme. Ensuite, la société anonyme eut à leurs yeux l’inconvénient de multiplier les auteurs de l’Odyssée et de l’Iliade : refuser un Homère et puis en agréer plusieurs, quelle aventure ! Ils refusèrent tous les Homères et voulurent que l’Odyssée et l’Illiade fussent nées toutes seules, eussent grandi toutes seules, en vertu de lois organiques ou dynamiques. Bref ils aboutirent à maintes folies périlleuses, peu amusantes.

Notre abbé d’Aubignac, allons-nous lui imputer ces folies ? Et est-il responsable du tour que son hérésie a pris depuis sa mort ?

François Hédelin, qui plus tard fut abbé d’Aubignac, était un homme que ses contemporains ne méprisaient pas. Son biographe, M. Charles Arnaud, cite en faveur de cet écrivain méconnu les plus honorables témoignages. Corneille l’estimait pour ses doctrines littéraires ; Boileau le trouvait « fort habile ; » Racine le lisait et annotait sa Pratique du théâtre ; Dacier voyait en lui le successeur