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Selma Lagerlöf, par ses dons de conteuse, a réveillé l’imagination suédoise ; Gustav Fröding a renouvelé le vers et y a introduit une profondeur de sentiment toute nationale ; Oscar Levertin, à la fois savant, artiste et poète, par ses vers, ses ouvrages de critique et d’histoire littéraire, a transformé et affiné le goût de ses compatriotes. Ami intime de Verner de Heidenstam, il a écrit avec lui les Noces de Pépita, parodie de ce naturalisme qu’ils appelaient la « littérature des cordonniers. » Toutes ces influences s’exerçaient dans un sens purement suédois.

Bien des années après, en 1910, Strindberg, avec qui Heidenstam avait eu des relations très cordiales pendant son séjour à l’étranger, entre 1885 et 1889, et auquel il écrivait alors des lettres remplies des idées qui s’éveillaient en lui, l’attaqua avec une extrême violence dans une brochure intitulée Discours à la nation suédoise. Il injuriait en même temps plusieurs des hommes dont s’honore la Suède et jetait la boue sur les héros de son histoire. A l’égard de M. de Heidenstam, c’était d’autant plus injustifié que celui-ci, en exposant ses théories littéraires, n’avait jamais fait d’application personnelle et désobligeante à des écrivains dont plusieurs avaient été ses camarades et ses amis ; il avait évité ce qui aurait pu les blesser. Dans sa réponse, La Philosophie des prolétaires, où il sort de sa réserve habituelle pour écraser Strindberg de son mépris, nous ne relèverons que ce qui complète la doctrine qu’il avait exposée dans Renaissance, Classicisme et germanisme, et Pensées et esquisses. Il accuse la philosophie de l’école de Strindberg, ainsi que le naturalisme en tant que théorie littéraire, de n’avoir jamais cherché à satisfaire que les appétits matériels des foules, de n’avoir jamais pénétré à l’intérieur de l’homme pour savoir quelles étaient ses aspirations essentielles. Elle a, d’après lui, voulu faire de tous les hommes des prolétaires, pensant et sentant comme des plébéiens ; elle n’a pas formulé une conception de la vie ; elle n’a pu construire parce qu’elle était utilitaire et bornée. Nous avons besoin aujourd’hui plus que jamais de noblesse et de vertus chevaleresques. Verner de Heidenstam regarde l’avenir et voit la société devenant tie plus en plus démocratique dans les formes extérieures et, pour ce qui est des pensées et des sentimens, de plus en plus aristocratique.

La Suède a suivi ce débat avec passion Strindberg a eu