Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des pentes comme des poussées de lave sur les flancs ravagés d’un cratère. Seul, dans un chaos minéral, se profile encore un pan de mur, fraction de courtine à laquelle s’adossait la salle des Preuses, entre les deux tours d’angle tombées en poudre. La base du donjon se devine, masquée par les gravais qui l’enfouissent. Toute la contrée, alentour, apparut comme chimique et lunaire à ceux qui la reconquirent. Le règne végétal et le règne humain y avaient été annulés par des hommes.

Entre tant de crimes, celui-ci, inutile, minutieusement prémédité, porte une marque spéciale. La gloire du donjon de Coucy devait ulcérer de souveraines jalousies : c’est pourquoi il a été supprimé de la surface de la terre. La ruine restaurée de Hoh Kœnigsburg ne sera plus maintenant concurrencée par un rival supérieur...

Au moins, les os émiettés du géant, comme les squelettes blanchis de la vallée de Josaphat, ont-ils pu connaître la vision de combattans d’un autre âge montant à l’assaut de ces décombres, par une nuit vengeresse, et pénétrant furieusement sur leur masse en poussière arrachée à une race exécrable. Et les ombres des chevaliers d’autrefois, errantes hors de leurs tombeaux profanés, ont-elles pu saluer les fantassins de France, des armes inconnues à la main, poursuivant de tas de pierres en tas de cendres un ennemi faiblissant, les glorieux fantassins dont les uniformes gluans de fange ou raides de glace portaient comme insignes l’ancre marine du héros colonial et le cor du chasseur que Roland reconnaîtrait pour le sien.


GERMAIN LEFÈVRE-PONTALIS.