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Régnier de Magny et de Mauduite de Coucy, portant d’or à la fasce d’azur, au chef de couleur inconnue chargé d’un lionceau de gueules passant, en détenait la qualité, et peut-être en exerçait directement l’office, dans la forteresse que son cousin construisait alors pour abriter son rêve de roi.

C’était peut-être un émérite commandant de place, c’était sûrement un trouvère délicieux. Son œuvre est courte et concentrée : une vingtaine de petits poèmes lyriques, de « chansons, » pour les appeler du nom que leur donnait l’époque. Il y chante ses amours pour une dame élue et secrète. Ses espérances, ses traverses, ses requêtes, ses plaintes retentissent et s’enchevêtrent. Il fait accueil au sentiment de la nature. Un éloignement plein de mystère, un départ pour la Terre-Sainte, apporte une note émouvante et qui permet l’hypothèse. Il pourrait se présenter là, et la chose n’est pas sans exemple parmi les poètes d’oïl et les poètes d’oc, des élémens possibles de biographie individuelle. Il est également permis de croire à un simple artifice, d’emploi fréquent par ailleurs, et à la présentation verbale de faits et de sentimens d’ordre purement imaginaire.

On peut pencher pour la « littérature. » Car Renaud de Magny, châtelain de Coucy, parait avoir conduit son existence de la façon la plus normale. Très jeune, il se trouvait pourvu d’un bénéfice de chanoine de Noyon. On le sait marié : sa femme portait le prénom d’Aanor. On lui connaît deux fils, dont l’aîné lui succède en sa terre paternelle et en sa charge fieffée. Il semble qu’il menât la vie des gens de son temps les moins pourvus d’aventures. Mais, quelles que puissent avoir été son infortune ou sa chance, ce fut un poète, un vrai poète, qui savait sentir et chanter.

« Puisque mon cœur ne s’en veut revenir — De vous, dame... » Ainsi définit-il son amour dans une de ses chansons. « Le nouveau temps, le mai, la violette... » Ainsi commence une autre. D’autres encore : « La douce voix du rossignol sauvage... » — « Quand vois venir le beau temps et la fleur... » « Tant ne me sais dementer ne complaindre. — Que puisse avoir de ma douleur soûlas. » Tristesse à présent : « Elle a mon cœur, que je n’en quiers ôter... » Et sa plus célèbre, celle qui, très vite, courut le public et le classa : « A vous, amans, plus qu’à nulle autre gent — Est bien raison que ma douleur complaigne... »