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Dans son culte pour les productions allemandes, l’ancien chancelier rappelle avec tristesse l’accueil trop favorable donné, à la veille de cette guerre, « au détriment de la Muse allemande, » à d’insipides productions étrangères. Il souhaite que la façon dont les écrivains, poètes et artistes, si chaleureusement applaudis en Allemagne, ont répondu à ces bravos, serve de leçon aux Allemands trop naïfs et trop enthousiastes. « Plus violentes, dit-il, auront été l’injustice et l’envie, la fureur et la haine déchaînées contre nous par la guerre, moins nous nous laisserons détourner des buts qui sont les nôtres, moins nous faillirons à notre tâche. N’oublions pas non plus combien mince est le rôle de la reconnaissance dans les choses de la politique. Une dette de reconnaissance dans la vie d’un peuple humilie la fierté nationale et engendre d’ordinaire une secrète rancune plutôt qu’une amitié sincère. » M. de Bülow rappelle que Washington a enseigné à ses compatriotes que c’était une grave erreur que de croire à la générosité et au désintéressement des nations entre elles. William Pitt n’a-t-il pas dit aussi qu’à s’en tenir à la stricte justice, il n’est pas d’empire qui survivrait au soleil d’un jour ? Et Pascal n’a-t-il pas affirmé que le droit sans la force était impuissant et que la force était la Reine du monde [1] ? Mais n’est-ce pas aussi l’Autriche, alliée de l’Allemagne, qui a proclamé qu’elle étonnerait le monde par son ingratitude ?

Rappelant aussi la parole de Renan : « La philosophie, pas plus que la chimie ou la mécanique, n’a à intervenir dans la Politique, » M. de Bülow remarque que, si les principes de la politique réaliste sont faits pour être appliqués, il est inutile de les mettre en discours et de les crier sur les toits. Autrement, on exposerait l’Allemagne, — dont la politique, parait-il, a été foncièrement plus humaine que celle de la France depuis Philippe le Bel jusqu’à Napoléon, que celle de la Russie depuis Pierre le Grand jusqu’à nos jours et que celle de l’Angleterre dans tout le cours de son histoire, — à mériter un odieux renom... infortunée Allemagne, comme on la calomnie, elle si modérée, si patiente, si loyale, si équitable, si généreuse !

Invoquant encore une fois Pascal et rappelant que le grand

  1. M. de Bülow oublie que Pascal a dit aussi : « Il faut mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort et que ce qui est fort soit juste. »