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volonté propre, mais par l’institution elle-même. « La forme spécifiquement allemande sous laquelle l’esprit créateur et génial de Scharnhorst vint organiser le service obligatoire, et sous laquelle le roi Guillaume, Boyen et Roon ont continué à le développer, devait s’imposer à la vie nationale allemande sans faire violence au caractère allemand. »

M. de Bülow croit pouvoir affirmer que jamais l’armée allemande n’a été au service de la politique. Elle a eu pourtant à réprimer plus d’une fois des troubles et des émeutes politiques, et ses chefs n’ont jamais caché qu’ils étaient prêts, sur un ordre ou sur un signe venu de haut, à briser toutes manifestations anti-gouvernementales [1]. Il est possible que, dans les diverses phases du Kulturkampf, l’armée allemande n’ait pas eu à intervenir, ce qui eût peut-être eu de graves conséquences. Mais il convient de dire que cette armée, liée par son serment à l’Empire et à l’Empereur, ne connaît jusqu’à ce jour d’autre devoir que son devoir militaire et est disposée à traiter avec la dernière rigueur, non seulement les perturbateurs étrangers de l’ordre, mais les siens propres, ne faisant aucune distinction entre des inconnus et des Allemands amis, parens ou non. « Nous savons, dit M. de Bülow, que nous pouvons compter sur l’esprit formé à la caserne et sur les champs de manœuvre, sur l’esprit de soumission ennobli par le sentiment de camaraderie, d’union disciplinée et d’égalité ordonnée. »

Camaraderie, union, égalité, ce sont là de beaux mots, mais, en Allemagne surtout, ce ne sont pas des réalités. Des faits nombreux et encore récens, dont le Reichstag a eu connaissance, prouvent que le principe qui domine dans l’armée est la soumission forcée à des chefs rigides, violens, brutaux, inexorables. Il est certain que l’armée allemande est un tout complet, unique dans son genre, une machine formidable qui, se mouvant sous l’action énergique de volontés indiscutées, va, vient, frappe, broie, tue, immole, incendie, pille, ravage, viole, massacre, et cela comme si la force devait être supérieure au droit et la violence à la justice. « Toutes les conceptions politiques s’effacent, selon M. de Bülow, quand le peuple allemand n’est plus que l’armée sous le commandement suprême de

  1. Bismarck y comptait bien et on le savait. — Guillaume II ne dit-il pas lui-même un jour à une députation socialiste : « Je suis prêt à écouter vos doléances, mais n’allez pas plus loin, ou je fais tirer dont le tas ! »