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ainsi que certaines agitations à Berlin, à Munich, à Dresde et en d’autres grandes villes, enfin des motions au Reichstag montrent que le peuple et certains socialistes commencent à trouver ces épreuves bien longues et bien cruelles. « On ne savait pas à l’étranger, affirme l’ancien chancelier, que l’armée allemande était particulièrement apte à tenir et à entraîner comme un seul homme toute la Nation... La voix de notre conscience nous dit ce qu’est en réalité notre militarisme, à savoir l’œuvre la plus précieuse de notre passé politique et national. La caricature que nos ennemis ont devant les yeux et à laquelle ils croient aujourd’hui si fermement, — parce que, hélas ! des mains allemandes ont contribué elles-mêmes à la dessiner, — présente le militarisme allemand comme un moyen d’oppression s’imposant lourdement à notre peuple, comme une contrainte exercée pour le compte de la monarchie par la caste militaire, s’employant contre la liberté en Allemagne et y étouffant les aspirations même légitimes de la démocratie moderne. Cette caricature dépeint le militarisme allemand comme une force spéciale faite pour la Prusse, comme la force grâce à laquelle l’Etat prussien maintient despotiquement la cohésion entre les Etats de l’Allemagne. »

N’en déplaise à M. de Bülow, cette caricature est un dessin exact. La Prusse militaire est, en effet, le levier qui permet de mettre en mouvement tout le mécanisme de l’Allemagne. Chaque homme est considéré comme un rouage qui doit obéir à l’impulsion donnée sous peine d’être aussitôt brisé et remplacé par un autre. J’en trouvais récemment la démonstration saisissante dans les Souvenirs d’un Américain, M. Poultnev Bigelow, fils de l’ambassadeur des Etats-Unis à la cour de Napoléon III et qui, ayant longtemps vécu en Allemagne, a été fort à même de voir et de juger les hommes et les choses de ce pays. Les violences brutales sont en honneur dans l’armée pour inculquer et maintenir la méthode d’éducation prussienne. Les maîtres teutons leur attribuent une vertu spéciale qui finit par être acceptée par les victimes elles-mêmes. Les théories du militarisme prussien sont d’une étroitesse, d’une rigueur, d’une dureté sans pareilles. La Prusse qui mène tout est devenue « une boutique de mécanique militaire. » L’étranger, qui assiste aux parades et aux revues, ne peut cacher sa surprise, et quand il voit tous ces soldats marchant au pas de parade comme des automates