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Les gens de Franceville sont étonnés d’apprendre que tout notre pays est plein de chiens qui ne travaillent pas, — non pas même à écarter le bétail des champs labourés. Chez les Français, les hommes et les femmes et les petits enfans s’occupent en tout temps au travail de la terre. Les enfans ne portent point de bijoux, mais ils sont plus beaux que je ne saurais le dire. C’est un pays où les femmes ne sont pas voilées. Leur mariage se fait suivant leur propre choix et a lieu entre leur vingtième et leur vingt-cinquième année. Il est rare qu’elles se querellent en poussant des cris. Elles ne se volent pas entre elles. Elles ne disent pas du tout de mensonges. Quand le malheur les frappe, il n’y a aucun cérémonial de douleur, tel que de s’arracher les cheveux ou autre chose semblable. Elles vident la coupe et souffrent en silence. Sans doute ce doit être le fruit de tout ce qu’elles ont appris dans leur jeunesse.

On dit que les Français adorent des idoles. J’ai parlé de cela avec une vieille dame et son guru [1] : ce n’est pas vrai, en aucune manière. Il y a certainement des images sur leurs autels, aussi bien que des deotas [2], à qui ils présentent des demandes, comme nous faisons au sujet de nos affaires domestiques ; mais la prière du cœur va à Dieu lui-même. Les vieux prêtres me l’ont assuré. Tous les jeunes prêtres combattent à la guerre. Les Français se découvrent la tête, mais n’enlèvent pas leurs chaussures, pour prier. Ils ne parlent pas de leur religion aux étrangers et ils ne cherchent pas à faire des conversions. Le vieux prêtre du village où j’ai été cantonné si longtemps disait que toutes les prières dans des temps comme ceux-ci s’en retournent à Dieu. Ce vieux prêtre m’a donné une petite médaille qu’il désirait me voir porter autour du cou. Ces médailles sont considérées comme saintes parmi les Français. C’était un très saint homme et elles détournent le mauvais œil. Les femmes portent aussi des perles saintes pour les aider à faire le compte de leurs prières.

Certains hommes de notre régiment se sont partagé entre eux tout ce qu’ils ont pu ramasser du cordon de ces perles qu’avait coutume de porter la petite fille française que l’obus a tuée. On les a retrouvées à quarante mètres de ses mains. C’était cette petite fille qui nous demandait nos boutons et n’avait peur de rien. Notre régiment a fait le compte des

  1. Prêtre.
  2. Dieux locaux.