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château. » Actuellement, rien que ce mot nous épouvante, au souvenir de certaines villégiatures aussi guindées qu’assommantes… Non ! Ce n’était pas ce que vous croyez : les amis arrivaient à cheval et quelquefois à deux ou trois sur la morne monture ; ceux qui avaient voiture ne tiraient point vanité de leur équipage : un « tapecu » était aussi bien accueilli qu’une calèche ; tout le bagage des plus élégantes consistait en une robe de mousseline ; la toilette du matin était celle du soir. Était-elle ternie ? on allait au lavoir, et c’était encore une occasion de gaieté et de divertissement. On déjeunait toute la matinée dans la cuisine, on péchait des écrevisses, et on dansait dans la cour le rond de Renchin ou le Grand-Père, autour du crincrin du village qui annonçait en tapant du pied et en criant, du haut de la chaise sur laquelle il était juché : « En avant, les quat’z’autres ! » Il ne faut pas omettre que le décor s’harmonisait avec le costume et le ton des acteurs : un château, en ce temps-là, ne ressemblait en rien à ce que nous nommons ainsi à présent, ni même à une villa, encore moins à un cottage. Un vieil homme qui en avait beaucoup vu racontait : « Le luxe n’avait pas fait grands progrès ; dans les châteaux, les glaces, les parquets, les plafonds, les meubles d’acajou, les grands rideaux de croisées étaient inconnus ; les cheminées de marbre, les tentures, même en papier, étaient encore rares ; quant aux tapis de pied, ainsi que les descentes de lit, on ne les connaissait nulle part en 1820[1]. » On se passait de tout cela, et, au dire des contemporains, on ne souffrait pas de cette rusticité, au contraire. La comtesse Dash, écrivant en 1860, comparant avec mélancolie la jeunesse qu’elle voyait alors avec celle dont elle avait été quarante ans auparavant, disait : « La génération, actuelle ne peut pas se faire une idée de cela ! On ne pourrait jamais croire que c’est le même pays et que ce sont les mêmes gens[2]. »

Car cet heureux âge devait finir. À mesure que vieillissait le XIXe siècle et que, de plus en plus, les chemins de fer étendaient sur le pays leurs antennes, de placides provinciaux, jusqu’alors sédentaires, s’offrirent le voyage de Paris : ils en revenaient métamorphosés, affectant, comme Mercier l’avait déjà remarqué, « de tourner en ridicule tout ce qui s’écarte des usages de la capitale, parlant de la Cour comme s’ils la connaissaient, des

  1. Souvenirs d’un nonagénaire, II, 281.
  2. Mémoires des autres, I, passim.