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demeure de la princesse dans la petite ville de Massa. Il faisait nuit. Quelqu’un pourtant lui indique la maison ; il frappe à plusieurs reprises, entend enfin des pas qui s’approchent, le verrou qu’on tire : c’est Madame elle-même qui vient ouvrir sa porte, un chandelier à la main…[1].

Au Palais-Royal, chez le duc d’Orléans, sauf en quelques circonstances exceptionnelles, la vie de famille est de règle. Même aux soirs de réception, les princesses se tiennent dans la galerie de Valois autour d’une table ronde où chacune d’elles a son tiroir avec un « ouvrage » auquel elle travaille, tout en accueillant les visiteurs qu’introduit un chambellan. Après 1830, quand Louis-Philippe a monté en grade et occupe les Tuileries, la reine Amélie, ses filles et sa belle-sœur ne perdront pas ces habitudes laborieuses : les ambassadeurs et les ministres, venus pour leur rendre hommage, les trouvent toujours assises autour de leur table, au milieu de laquelle est un grand candélabre, avec un petit bougeoir devant chacune des dames qui, toutes, ont une tapisserie à la main[2]. Le Roi n’est pas plus cérémonieux : on le rencontre dans l’avenue des Champs-Elysées, revenant à pied de Neuilly jusqu’aux Tuileries, — et il y a du chemin ! — Un jeune freluquet de diplomate autrichien, grand conducteur de cotillons, qui l’aperçoit, certain jour, en cet équipage, note dans son journal : « Vieil habit, vieux chapeau, parapluie passé sous le bras, sale et crotté jusqu’à l’échine, le Roi, accompagné d’un de ses commensaux, saluait pour se faire remarquer des passans, entendant les moqueries sur cette ridicule parade et ayant tout à fait manqué ce bel acte de popularité. » L’Autrichien se trompait : Louis-Philippe gardait les habitudes bonasses du temps de sa jeunesse où « l’étalage » n’était pas de bon goût. En quoi, d’ailleurs, il retardait. Car c’est un phénomène déconcertant autant qu’inexplicable : plus Paris se démocratise, au cours du XIXe siècle, plus il exige de ses maîtres éphémères le faste et la représentation. Depuis qu’il les paie, il en veut pour son argent. Aussi tournait-il en dérision le parapluie du Roi-citoyen, la tapissière où, pour les promenades au Raincy, celui-ci entassait toute sa famille ; et les bouzingots considéraient ce sans-façon royal comme un manque d’égards à leur adresse.

  1. Journal du comte Rodolphe Apponyi.
  2. Apponyi, I, p. 2, ch. Il, D 252.