Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

augustes des Tuileries. Ainsi que son bisaïeul Louis XV, avec lequel il avait, pour le reste, peu de ressemblance, Mgr le duc d’Angoulême, levé à cinq heures, allume lui-même son feu[1]. Il faut le dire, à l’excuse de sa livrée : les appartemens royaux n’étaient pas chauffés avant le 1er novembre ; qu’un habitant du château se permit d’avoir froid avant que l’étiquette ne l’y autorisât, c’eût été d’une inconvenance dont personne, fût-ce une Altesse royale, n’eût osé se rendre coupable ; on devait souffler dans ses doigts et battre la semelle[2], ou se servir soi-même, comme faisait le duc d’Angoulême.

À l’Elysée qu’habitaient le duc et la duchesse de Berry, le train de vie, encore que somptueux aux jours de réception, n’en était pas moins, à l’ordinaire, familial et dénué de toute prétention : par les beaux jours d’été. Leurs Altesses portaient une petite table sur une pelouse et dînaient en tête à tête, à l’ombre des arbres, comme des boutiquiers retirés à la campagne. Le soir, Monsieur, — le futur Charles X, — le duc d’Angoulême et la fille de Louis XVI venaient très souvent des Tuileries, et l’on entamait, entre parens, une partie de loto, amusement que la jeune duchesse jugeait, à la longue, « un peu sérieux[3]. » Le cérémonial était même si dédaigné que, les jours de grands dîners aux Tuileries, le duc et la duchesse de Berry allaient, à pied, de leur palais à celui du Roi ; c’était à l’époque où, sur le point d’être mère, la princesse redoutait les courses en voiture ; elle avait dû renoncer, non sans grand regret, à prendre, pour se promener dans Paris, le populaire omnibus qui lui plaisait tant[4], Alors les deux époux, en dépit de la pluie et de la boue, enjambant les flaques, se garant des bousculades, suivaient, parmi la foule, toute la rue Saint-Honoré, et revenaient la nuit chez eux, bras dessus, bras dessous, à l’égal de bourgeois rentrant du spectacle[5]. Plus tard exilée, mère de Roi, la duchesse de Berry se souciait tout aussi peu du décorum : sir Richard Acton, chargé pour elle d’un message des souverains de Naples, racontait combien il avait eu de peine à découvrir la

  1. Comte Alex. de Puymaigre, Souvenirs sur l’émigration, l’Empire et la Restauration, p. 288.
  2. Mémoires du général comte de Saint-Chamans, p. 468.
  3. Mémoires de Mme la duchesse de Gontaut, gouvernante des Enfans de France. p. 191.
  4. Souvenirs d’un médecin de Paris, p. 194.
  5. Mémoires de Mme la duchesse de Gontaut.