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de marcher d’un seul côté de la route. J’ai souvent vu cela.

Les charrues et les charrettes sont traînées par des chevaux. Les bœufs ne sont pas mis à cette tâche dans ces villages. Le travail des champs est entièrement fait par des vieillards, des femmes et des enfans qui savent tous lire et écrire. Les hommes jeunes vont tous à la guerre. La guerre vient aussi trouver chez eux les gens des villages, mais ils n’y font pas attention, parce qu’ils sont de vrais cultivateurs.

J’ai un ami parmi les Français, un vieux du village où le régiment était établi : chaque jour, avec une bêche à long manche, il remplit de terre les trous faits dans ses champs par les obus de l’ennemi. Je lui demandai une fois de s’arrêter pendant que nous étions ensemble à son travail ; mais il me dit que sa paresse d’un jour lui donnerait double travail pour le jour suivant. Sa petite-fille, une fillette, faisait paître une vache derrière un bois où les obus tombaient, et elle fut tuée ainsi. Notre régiment apprit la nouvelle et il n’y fut pas indifférent, car l’enfant était souvent parmi nous, à demander des boutons de nos uniformes. Elle était petite et pleine de rires, et elle avait appris un peu de notre langue.

Quant à la culture, il n’y a pas de mots pour dire combien elle est parfaite ni combien les cultivateurs sont laborieux. Ils font tous grand cas du fumier. Ils n’ont aucun besoin de brûler la bouse de vache pour se chauffer. Il y a abondance de charbon. Ainsi n’irriguant pas et ne brûlant pas la bouse pour se chauffer, tu comprends, mon frère, que leur richesse croisse toute seule. Ils bâtissent leurs maisons, depuis les temps anciens, autour d’immenses tas de fumier sur lesquels ils jettent toutes choses suivant la saison. C’est une propriété qu’on se transmet de père en fils et qui s’accroit toujours. Grâce au nombre des chevaux de l’armée à certains endroits, il s’y entasse beaucoup de crottin de cheval. Quand c’est excessif, les officiers font allumer un peu de paille près des tas. Les Français et les Phlahamahnds, voyant la fumée, s’assemblent avec des charrettes en criant : « Quel gaspillage est-ce là ! » Les officiers répliquent : « Personne ne veut emporter ce crottin, donc nous le brûlons. » Tous les cultivateurs alors les supplient de leur permettre de l’enlever dans leurs charrettes, ne fût-ce que la charge de deux chiens. Par le moyen de ce stratagème, la cavalerie voit nettoyer ses lignes.